LE ROMAN NOIR DE L’HISTOIRE

Une somme, 77 nouvelles écrites en quarante ans de métier qui embrassent quasiment deux siècles de 1855 à 2030, empruntant çà et là aux événements déjà abordés dans les précédents livres de l’auteur. Dans cet  ouvrage, on passe des marins qui transportent en douce les romans du grand Hugo censurés par le régime de Napoléon III aux éboueux de l’Espace qui débarrassent le ciel des satellites hors d’usage. Ça commence donc par un hommage aux anonymes de la République des lettres pour finir sur des balayeurs de galaxie qu’on envoie au casse-pipe. Ces deux exemples donnent une image de la méthode Daeninckx en apportant de surcroît un éclairage sur le titre de l’ouvrage. Ici, comme l’écrivain aime à le répéter, il ne faut pas s’attendre à parcourir les coulisses fumeuses d’une contre-histoire, ni à goûter aux recettes exaltantes d’un nouveau roman national. Il s’agit davantage de suivre ceux qui, de la Commune aux deux guerres mondiales en passant par l’Indépendance algérienne, ont su résister au conformisme ambiant. Des rebelles, en quelque sorte, dont le romancier raconte l’épopée, et qui, grâce à lui, sortent de l’oubli. On retiendra cet invraisemblable cow-boy géorgien dont le parcours chaotique l’amène aux Etats-Unis puis aux portes de la Révolution russe de 1917 juste après un détour par les horreurs du Chemin des Dames. Loin des héros célébrés dans les manuels, le narrateur de ces récits se tient à la périphérie des faits historiques, à bonne distance pour mieux en percevoir le centre. Viscéralement attaché à Aubervilliers, où il a pratiquement vécu toute sa vie, Daeninckx considère en quelque sorte la banlieue comme un prisme où le monde entier palpite. La répression sanglante à Paris des manifestants algériens du 17 octobre 1961 ne se résume pas à un titre dans la presse; une voisine, amie de sa mère, Suzanne Martorell, y a perdu la vie. Dans cette traversée des siècles, l’histoire ne ressemble guère à une avalanche de dates à retenir ni à un idéal de carton-pâte, elle traverse littéralement les personnages, qui s’engouffrent dans cette fresque avec toute la passion de leur engagement.

©BR, RDDM, Février 2020, Le roman noir de l’histoire, Didier Daeninckx, Verdier, 832 p.

 

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