BATTRE LE PAVÉ

Cette rubrique amoureuse de l’irrégularité du pavé qu’elle arpente s’arrêtera où bon lui semble. Elle préfèrera le détail à l’exhaustivité et privilégiera les marges de l’imprévu quitte à faire fausse route. Quand au pavé parlons-en, nous restons délibérément urbain, attachés aux images à celles qui nous cherchent comme à celles que nous poursuivons.

Si l’expression qui nous sert de bannière décrivait  il y a peu l’errance du flâneur, elle désigne aussi par glissement sémantique ceux qui manifestent sans pour autant battre la campagne. Cette variation plus nerveuse convient à ce billet qui se donne le droit de passer du coq à l’âne. Première escale : London.

Brexit ou non, Londres continue son remue ménage. Il suffit de parcourir les quais de la Tamise pour s’en rendre compte, ça construit ferme au bord du fleuve. Les grues s’affairent, les tours prospèrent et comme on dit avec emphase la « Skyline de la City » en est toute retournée. Bien sûr, l’extension très réussie de la Tate Modern (Herzog & de Meuron)[1] pourrait constituer l’exemple phare de cette cavalcade architecturale mais on optera pour un tour de force tout aussi détonnant formé il y a presque deux siècles par les trois maisons de l’honorable Sir John Soane (1753-1837). En plein cœur du quartier des avocats et à un jet de pierre du British Museum, l’architecte néo-classique de la banque d’Angleterre a transformé sa demeure au gré de ses trouvailles. Transformé le mot est faible, car du sous-sol au plafond les murs sont couverts par des restes antiques ou renaissants alignés les uns au-dessus des autres. Bustes, vases, urnes, frises décoratives, colonnes,  animaux en tous genres, bronze, marbre et pierre rongent  les parois de bas en haut comme une seconde peau. Au milieu de cette frénétique accumulation des statues montent la garde. Les fragments ici réunis brassent le vertige de l’histoire. Un sarcophage égyptien du second millénaire av. J.-C. cohabite avec des modèles en plâtre de monuments célèbres façonnés par John Flaxman le sculpteur néo-classique et ami du maître de maison. L’époque était aux fouilles, Pompéi déversait à peine ses vestiges et l’esprit du siècle s’adonnait éperdument aux décombres des civilisations disparues.  En toute logique romantique, un pastiche de ruine occupe la cour centrale de l’édifice qui, comme il se doit, abrite son fantôme, italien de surcroît. Mais le plus enivrant réside au premier étage. Le cabinet de peinture bénéficie de panneaux mobiles pour démultiplier les espaces réservés aux tableaux. Ils s’ouvrent et se ferment à volonté sous la surveillance bienveillante des guides. La chance peut-être vous sourira quand l’un d’eux aussi érudit que disert  vous dévoilera le déclin d’un libertin ; A Rake’s progress, cette série de huit peintures réalisées par William Hogarth, en 1735. Outre une solution de rangement ingénieuse, le dispositif permettait aussi de cacher soigneusement au regard, le caractère licencieux de certains épisodes. De Hogarth encore, une séquence consacrée aux embrouilles électorales, An Election, devrait convoquer quelques souvenirs plus contemporains.

RDDM Mars 2017

Sir John Soane’s Museum, 13 Lincoln’s Inn Fields, London, WC2A 3BP

[1]A noter au chapitre des dernières transformations remarquables, celle du New Design Museum réalisée par John Pawson

Laisser un commentaire