Présentation
Séquence 1.
Y regarder de près : la Visitation
La séance commence toujours par un « tour de chauffe ». En général, autour de quelques images librement choisies dans le passé ou le présent. Non pour les commenter, ni pour s’appuyer sur le garde-fou esthétique de l’appréciation, j’aime – j’aime pas, il s’agit seulement de les regarder de près. On cherche à suivre ce qui s’y passe, à distinguer tout simplement ce que l’on voit ou ne voit pas. L’exercice, ici, se porte sur trois versions de la Visitation peintes au début du XVIe siècle par Carpaccio, Ghirlandaio et Pontormo.
Les deux séquences suivantes s’articulent à la fois sur la démarche du photographe et du peintre ainsi que par rapport au du contexte dans lequel l’un et l’autre travaillent.
Séquence 2.
De la photo dite « humaniste » au protocole : Eustachy Kossakowski (1925-2001)
Séquence 3.
De l’expressionnisme abstrait à la « peinture narrative » : Cy Twombly (1928-2011)
Séquence 1. Y regarder de près



Quelques points remarquables
- les couples
- le quatuor
- l’environnement
- le regroupement
- la densité
- les configurations de l’espace
Séquence 2. Kossakowski



KOSSAKOWSKI
Outre le contexte / La construction de la photo différente c’est-à-dire plus du tout subjective cf. les dispositifs Buren etc. Et pour exagérer un peu les Becher là effectivement on est aux antipodes de Doisneau voire d’un Cartier Bresson de l’instant plus du tout décisif ou plutôt autrement.
Le parti pris Kossakowski
- Vue frontale
- Le panneau à 6 mètres de distance
Conséquence de la consigne
- un inventaire exhaustif du tour de la capitale
- la répétition certes mais jamais pareille

Ce que l’on voit
- Une frontière, un entre deux
- Paris sans jamais y entrer
- Une accumulation de ponts, d’avenues, de rues
- Le panneau indique à la fois la ville et l’interdiction de stationner
- De ce lieu on ne peut n’y s’arrêter ni voir Paris
- Le tour du périphérique est une vision aveugle en ce qui concerne ce qui est annoncé
- Drôle d’endroit pour une rencontre et surtout pour Kossakowski à peine arrivé de Pologne en France
- Un no man’s land, une impasse, une des photos, la seule d’ailleurs de l’ensemble, enregistre ce sens unique en forme de barrière infranchissable
- Paris jamais visible dont on ne voit que le fouillis de l’enceinte
- Paris forteresse
- La banlieue désespérément mise à l’écart. Le grand Paris changera t-il cet état des choses ?
Paradoxe
- Paris la seule agglomération de l’hexagone qui indique le moment certes où l’on y pénètre mais jamais quand on en sort.
- En fait Paris ou encore Notre Dame = le kilomètre zéro, l’endroit d’où l’on calcule la distance qui sépare toutes les villes de l’hexagone de Paris.

Séquence 3. TWOMBLY
Le contexte
- Afin d’exagérer les choses, plaçons Twombly entre l’expressionnisme abstrait Kline, Pollock… et le trio Pop Art, Art Minimal et Art conceptuel (Rauschenberg, Warhol, Agnes Martin, Kosuth, On Kawara) sachant qu’il n’appartiendra pas vraiment à cette triade des années 60 tout en se dégageant du premier mouvement de l’art américain des années 1940
- Twombly donc à cheval entre un mouvement très lyrique, gestuel, sensuel, émotionnel, et une réaction extravertie célébrant ou critiquant la société de consommation liée à une posture qui regarde objectivement le monde à travers des protocoles : grille d’Agnès Martin, consignes de Kosuth ou dates painting de On Kawara.
Formation. Etape essentielle au Black Mountain College au début des années 50.
- Lieu relais aujourd’hui mythique de la relation Europe/ USA, une partie de l’école du Bauhaus y a enseigné, et on peut dire, qu’avant même les créations de qu’il est convenu d’appeler la post modern dance, ce collège est devenu, dès 1938, le lieu de la performance, Rauschenberg, Cage, Cunningham. 1er happening de l’histoire de l’art en 1952 avec Cage.


Chronologie de l’œuvre / Parti pris
- On s’intéressera, tout particulièrement à la suite du livre de Guillaume Cassegrain dont on recommande la lecture la Coulure, une histoire de la peinture en mouvement (HAZAN), à l’écoulement des formes chez Twombly, à cette volonté de se déprendre de l’autorité du savoir et du savoir-faire. Tout ce qui touche alors au régime de la réserve, de la parcimonie contre l’aplomb de la maîtrise.
Importance centrale de l’histoire, à ce qui nous construit. Twombly le contraire de la table rase
- Il faut aussi lier le positionnement de Twombly à ce qui va le mettre en porte à faux vis-à-vis de ses contemporains à savoir cet emportement compréhensible de la vie artistique américaine visant à s’autonomiser de la culture européenne (à pondérer).
- Dès 1957, il s’installera en Italie, à Rome s’y mariera. (Les grandes familles italiennes les Franchetti). En réponse déjà à la question que Barthes posait à l’œuvre de Twombly : qu’est-ce qui s’y passe ? Il nous engage sur l’effet méditerranée qu’il décèle dans sa peinture. Et effectivement, il y a ce rapport à la culture gréco-romaine, à cette lecture des textes anciens dont son père était friand. Héritage impressionnant mais dont justement l’avant-garde américaine cherche à se dégager. Une manière pour lui de le garder, c’est se déprendre, raboter consciemment ces références tout en les protégeant comme si après tout la série des tableaux formait le tombeau silencieux d’un immense patrimoine . Baisser le volume, baisser le son du passé pour en conserver la trace discrète mais néanmoins insistante. Vous voyez bien ici que cette baisse du son culturel coïncide avec les premiers travaux photographiques au Black Mountain College. Observez ce virage vers le blanc du cliché, cette perte singulière de contraste des objets entre eux et par rapport au support. C’est à une sorte de dissolution à laquelle on assiste. Un effacement de la représentation. /Rien à voir avec (Rappel de l’anecdote de Kooning-Rauschenberg « the erased de Kooning » 1953) pas du tout la même leçon : différence entre une disparition violente et sa « maigre » persistance /.
- L’autre point sur lequel insister concerne toujours ce facteur connaissance qui va osciller entre deux blocs celui des cycles et des séries celles qui ont une trame narrative et celles n’en ont pas. Cet équilibre s’organise sur un réinvestissement de la peinture d’histoire qui fut académiquement la matière noble du travail pictural tout en réduisant fortement le spectre de ses effets de manche. Toute l’œuvre s’articulera sur ce basculement mais pour ce faire et pour fragiliser le doublon récit/écriture, il faut à la main assurer son autonomie, ne pas se laisser dicter par les références et les usages de la conformité. D’où tout au début cet exercice d’utiliser la main dans le noir, sans voir ce que l’on fait, se mettre au régime de la sobriété.

Sperlonga collage
Là nous sommes au plus près du chemin des photos, noyer les objets dans le fond. Réponse du berger à la bergère si l’on veut c’est la manière Twombly de faire de la peinture sculpture. On est très loin du Monogram de Rauschenberg. Un « combine » plat en quelque sorte.

1959, Morceau de papier cristal-semi transparent déchiré irrégulièrement et plié, peinture industrielle sur papier
85 x 62 cm. Twombly Foundation
Les dessins de Grottaferrata
La réduction du trait / La discrétion / Frugalité
- Ni calligraphie, ni écriture, une tentative de déciviliser la main, de rendre le trait illisible, de couper court au déchiffrement
- Laisser résonner les espaces recouverts et les espaces vacants
- L’opposition entre le papier quadrillé et les courbes insoumises

Les neuf discours sur Commode (1963)
- L’empereur Aurelius Commode règne de 180 à 192 année de son assassinat
- Cf. dans la suite du cycle que lui consacre Twombly, en général un énoncé destiné à une audience, ou aussi un essai philosophique
- Mort de Jack Kennedy novembre 1963
- La crise des missiles soviétiques installés à Cuba, octobre 1962


Cette série construit le dépouillement
- Fond gris
- Les 9 toiles laissent ça et là de grands vides
- Elles commencent par une grille, sorte de diagramme clin d’œil aux minimalistes
- Un discours donc plutôt fragmenté, un énoncé finalement assez laconique
- Une ligne horizontale au crayon divise la toile en 4 à partir du haut
- De la douceur du premier discours à l’explosion des deux derniers qui s’achèvent sur un semblant de partition.
- Cette quasi austérité provoqua l’incompréhension
Night Watch
Contrecoup du mauvais accueil du cycle Commode. Exagération de la simplicité, retour non à la pâleur de la série photographique de Black Mountain College mais bien au presque rien, dire avec peu, amoindrir la forme géométrique, instabilité de sa tenue, précarité.
Vous voyez qu’avec Night Watch on délaisse l’aspect bruyant du sans titre de 1951, ce côté ronflant désormais absent.

Fifty days at Iliam (1978) et non Ilium le A remplace le U à cause de la sonorité rappelant le début du nom d’Achille
- La guerre de Troie
- L’Iliade et l’Odyssée composées vers -850 et – 750

Le couronnement de Sesostris (2000)
- Pharaon de la XII dynastie règne de 1962 à 1928
- Le cycle, en 10 tableaux de différents formats, suit le déplacement de la barque solaire du dieu Ra de la pointe du jour à la fin de la nuit.
- Commencée dans la lumière la suite s’achève sur une surface noire et blanche avec un fragment de poème de Sapho « Eros tisseur de mythe, Eros doux et amer, Eros porteur de souffrance »
- En fait ce que je cherche, c’est de suivre la démarche de T qui consiste à passer de l’évidage de la toile à un autre vide qui serait celui de la coulure, c’est à dire de la peinture elle-même et en cela faire plus confiance au médium qu’au sens éventuel détenu par les formes, on s’achemine ainsi vers un délitement des formes, une chute qui serait le résultat de la discrétion souhaitée concernant la culture. Cette distribution de la matière constitue la partition mezzo voce activement recherchée par Twombly.

C’est pour ça aussi qu’un tableau comme le Monogram de Rauschenberg se présente comme l’antithèse absolue de la manière Twombly pourquoi ?
- Parce qu’au lieu de remplir sa toile Twombly la vide
- Même si Rauschenberg renverse les attendus de la peinture en la mélangeant à la sculpture, il n’en reste pas moins prisonnier du remplissage fut-il divers, hétéroclite
- Parce qu’au lieu de se référer à des éléments significatifs quoique mélangés mais reconnaissables le pneu, la chèvre, les planches, Twombly gomme toute reconnaissance possible ou tout au moins la rend illisible
- Parce qu’au lieu de s’en tenir au monde des objets, Twombly le quitte définitivement. Retenons aussi que l’objet a été le meilleur moyen à l’époque du réalisme soviétique de passer outre la condamnation de l’abstraction. L’objet = le cheval de Troie de l’art au XXe siècle.
La coulure
- « L’usage des coulées, des chutes = inviter le spectateur à prendre en considération les possibilités expressives des coulures, leur sonorité particulière… » Guillaume Cassegrain
- « La coulure motif expressif très riche aux configurations formelles toujours changeantes » G.C
- « Le spectacle fascinant d’une vie autonome de la peinture, capable de s’écouler par sa force singulière hors du cadre du tableau sans que le peintre puisse ou veuille la contrôler » G. Cassegrain
- Coulure = mouvement descendant de la peinture ou plutôt de la matière,
- La peinture indocile. Processus de décomposition de la forme
- Mise en péril de la structure du tableau ou de l’intégrité de l’objet d’art
