Le musée des Arts Décoratifs offre à Gio Ponti, la première rétrospective française de l’œuvre de celui qui fut le promoteur infatigable du design italien
Architecte, designer, dessinateur, metteur en scène, écrivain, fondateur de revues Gio Ponti (1891-1979), originaire de Milan, traversa le siècle avec l’élégance et la générosité de ceux qui aiment ce qu’ils font sans jamais s’appesantir. Et surtout avec cette curiosité inlassable dont on retrouve l’allant dans le parcours de la première rétrospective française que lui consacre le Musée des Arts Décoratifs.
C’est vraiment ce qui frappe, cette alacrité toute pontienne qui imprègne tout ce qu’il touche, porcelaine avec Richard Ginori, verre avec Fontana Arte, argenterie et étain avec Christofle, meubles bien sûr, et projets architecturaux : de la tour Pirelli de Milan aux nombreuses villas dans le monde qui portent sa griffe. Personnalité hors du commun, fasciné par la France, si ses travaux inspirent toujours les générations qui le suivent, il reste néanmoins connu, de ce côté-ci des Alpes, des seuls « happy few ».
En dépit de sa réputation, cette discrétion paradoxale tient sans doute à sa démarche, inventeur infatigable, il expérimente, essaie, n’aime guère rester en place, bref, il avance, ce qui annule les effets de manche. On peut dire même, qu’il n’en a pas eu le temps, au vu de l’extraordinaire diversité de ses réalisations en quelque soixante ans d’activité. Pourtant, celui qui a révolutionné le design italien n’a pas seulement nourri la liste de ses productions mais a continuellement suivi le parti-pris de l’allègement.
Rechercher la légèreté par tous les moyens constitue le mot d’ordre de son itinéraire, qui, plus que sa prodigalité, fournit le fil rouge de son œuvre. En témoignent ses nombreux dessins qui émaillent sa correspondance. La finesse d’un trait continu épèle le contenu de ses messages se mêlant aux contours à peine esquissés des illustrations. On retiendra le modèle de la chaise appelée Leggera, 1952, sur laquelle repose un nuage tracé au doigt. Or, il n’y a là rien d’anecdotique. Le besoin de retirer de la matière, de se débarrasser du superflu l’accompagnera toute sa vie.
Gabriela, une chaise de 1971, impose à cet égard une solution qui consiste tout simplement à réduire l’assise, la désolidariser du dossier et inverser les pieds : ceux qui sont normalement derrière passant devant. Toutefois, ce minimalisme de la soustraction n’a rien d’austère au contraire, l’architecte souhaite, avant tout, que les bâtiments, qu’il construit, riment aussi avec l’imagination de ceux qui les habitent. C’est pourquoi, malgré toute l’admiration qu’il voue à Le Corbusier, son quasi contemporain ses créations sont loin d’astreindre leurs occupants aux règles impératives du constructeur. Pour preuve la versatilité joyeuse de l’hôtel de Sorrente édifié sur une falaise de la côte Amalfitaine (Parco dei Principi, 1960).
Un Ponti tout en camaïeu de bleu, où chaque chambre se distingue des autres, grâce à l’agencement particulier du motif des carreaux de céramique composant le dallage. Rien de formel, de pesant, car en fait le milanais n’oublie jamais que la rationalité ne saurait l’emporter sur le plaisir de l’habitat. Avec lui les volumes se transforment en jeux de surface. Pas de meilleur exemple que la cathédrale de Tarente, 1964-1970, dont les doubles façades ajourées, qui surmontent le monument, se transforment en paysage au gré de la météorologie, les nuages encore eux, l’air et la lumière s’intégrant aux différents éléments de l’architecture tout au long de la journée. C’est d’ailleurs sous le signe de cette fragilité formelle, de ce refus de la pesanteur que la scénographie (Wilmotte & Associés) dès l’entrée a choisi de placer toute la présentation.

Bertrand RAISON https://www.revuedesdeuxmondes.fr/gio-ponti-le-refus-de-la-pesanteur/ 9 janvier 2019
Tutto Ponti Gio Ponti archi-designer. Musée des Arts Décoratifs, 107, rue de Rivoli 75001. Paris. Jusqu’au 5 mai 2019.