NÉANDERTAL : VOUS AVEZ DIT SAUVAGE ?

Décidément les préjugés ont la vie dure, l’homme de Néandertal, découvert en 1856, et qui aurait vécu, entre – 350.000 ans et – 35.000 ans, n’a pas vraiment bonne presse. La bande dessinée l’affuble de traits grossiers plus proches de l’animal que de l’homme, et l’imagerie populaire le dote en général d’une massue qu’il n’a jamais maniée. Même le vocabulaire en retient des traces, en anglais américain, Néandertal est une injure. Cela dit, la science a son lot de responsabilités, car jusque dans les années 1970, on pensait que la capacité à articuler les voyelles dépendait de la taille anatomique du pharynx et comme on supposait notre Néandertalien démuni de cette heureuse disposition, son mutisme dès lors avéré le situait plutôt dans le voisinage du singe que de l’homme. Or ladite faculté de bien prononcer les indispensables i,a,u ne relève pas de la seule dimension du pharynx mais du contrôle de la langue, de la mandibule et des lèvres. De ce point de vue, notre cousin n’a rien à nous envier. Le voilà réhabilité de pied en cap. Pourtant, il lui aura fallu plus d’un siècle et demi pour bénéficier progressivement de son nouveau statut. Grâce à l’évolution considérable des moyens techniques de la paléontologie moderne associée à d’autres sciences (paléogénétique, paléoanthropologie, archéologie, imagerie…), cet ascendant lointain ressemble de plus en plus à l’homme moderne, au Sapiens qui trône bien seul, aujourd’hui, sur tous les continents.

Serres d'aigles à queue blanche perforées avant d'être montées en collier, Krapina, Croatie vers - 130.000 ans
Serres d’aigles à queue blanche perforées afin d’être montées en collier, provenant du site néandertalien de Krapina (Croatie) vers -130.000 ans.

Avant de s’éteindre notre prédécesseur nous a légué entre 1 à 4 % de gènes qui lui sont propres.  L’exposition du Musée de l’homme[1]raconte ainsi à nouveau frais l’histoire de la lignée Néandertalienne évacuant au passage les vieux poncifs qui lui trainaient aux basques. Un parcours ponctué en trois étapes, où on le suit, pas à pas, à travers son environnement quotidien, sa dimension symbolique, sa capacité, entre autres, à honorer les morts et enfin via le temps long de sa présence en Eurasie où il a croisé l’espèce Sapiens avant de sombrer dans le néant. Ápremière vue, on pourrait penser que cette présentation pédagogique rondement menée ne fait qu’actualiser nos faibles connaissances en la matière. Démonstration impeccable, tout est en ordre, les fossiles humains, rarement prêtés, sont au rendez-vous. Mais les commissaires, Marylène Patou-Mathis, Pascal Depaepe, lui ont ajouté un tour de vis supplémentaire qui la rend plus palpitante.  Il y a d’abord la question de la disparition qui fascine à juste titre, car cette extinction nous concerne de près, d’autant qu’il ne passe pas un jour sans que la perspective de notre survie ne soit évoquée par les médias. Une salle particulière est dédiée aux hypothèses censées répondre à l’anéantissement de notre proche parent. Spécialistes et chercheurs par le biais d’écrans vidéo suggèrent différentes solutions sans toutefois percer le mystère. Certes sans aucun doute un sort similaire nous attend.

 

Mais avant de subir ce destin si funeste, la proposition Néandertal ne se limite à une accumulation d’ossements humains vénérables, elle lorgne aussi du côté de l’histoire des idées et c’est ce qui la rend réjouissante. En effet, la visite est rythmée par des représentations mettant en scène la préhistoire dont deux huiles sur toile de Paul Jamin, peintes à la fin du XIXe siècle. Le rapt à l’âge de pierre (1888), et La fuite devant le mammouth (1885). Ces deux peintures montrant les comportements de nos ancêtres héritent aussi des conceptions scientifiques de l’époque et en traduisent l’idéologie. A cet égard, l’homme préhistorique, au tournant du siècle dernier, a fourni et fournit encore une surface de projection idéale sur laquelle se sont greffées les théories opposant le civilisé au barbare. S’emparant de la vision biaisée d’un passé taillé à leur mesure les racistes de tous bords vont s’empresser d’y voir la confirmation du pouvoir des peuples supérieurs sur les inférieurs. Parfaite dialectique qui conduit mutatis mutandis aux justifications les plus rances du colonialisme triomphant.

The neanderthal man

L’autre, quelque part, possède toujours les traits de la bête. L’affiche du film The Neandertal Man(1953), présente ainsi son héros à mi-chemin de la bestialité et de l’humanité. Le succès de la notion de progrès s’est nourri de cette évolution vers la perfection accusant l’antagonisme entre la nuit sauvage et l’aube de la civilisation au seuil de laquelle végèterait l’homme de Néandertal. Toutefois rien de linéaire dans ce développement que l’on a eu tendance à simplifier.  Le genre Homo ressemble davantage à « …un buisson arborescent très dense où chaque période de temps voit la coexistence de plusieurs espèces… »[2]. Donc, pas de succession benoîtement alignée mais une efflorescence de groupements où, dans l’intermède temporel qui nous concerne, le très sibérien homme de Denisova et l’homo Floriensensis de Java cheminent de concert avec Néandertal. Rien d’exhaustif dans cette énumération, mais l’indice d’un bouquet humain effervescent dont la prétendue sauvagerie a pris du plomb dans l’aile.

Bertrand RAISON

[1]« Néandertal », Musée de l’Homme, Paris, jusqu’au 7 janvier 2019.

[2]« Les Néandertaliens et les autres », Dominique Grimaud-Hervé, in Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe, Néandertal, éd. Gallimard et Musée national d’histoire naturelle, 2018, p. 132.

La Revue des Deux Mondes novembre 2018

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