L’UN L’AUTRE

Thomas a tout ce qu’il faut pour être heureux, il n’est mécontent de rien et pourtant un soir au retour des vacances, il part quittant sans un mot femme et enfants. On s’attend à suivre la leçon du titre, que l’on nous donne les raisons de cette fuite, que l’on nous parle des divergences du couple formé par Astrid et Thomas. Non rien de tout cela. Disparaître parce que Thomas en a la possibilité. Comme le rappelle l’auteur citant les propos d’un alpiniste à qui l’on demandait pourquoi il entreprenait l’ascension de l’Everest, « juste parce que la montagne est là » répondait-il. A part le laconisme tranchant de la réponse, n’oublions pas que Peter Stamm a l’habitude de ciseler le profil de ses histoires, d’en creuser le parcours sans s’embarrasser des motivations superflues. Les nouvelles parues dans Au-delà du lac reflétaient déjà cet art de préciser l’incertitude qui habite L’un l’autre. Dès lors, il s’agit de se mettre dans les pas du fuyard, d’affronter cette carence d’explications. D’ailleurs se colleter au mutisme vaut mieux que toutes les exégèses et autres interprétations puisque le lecteur abandonnant enfin les garde-fous de la pensée aborde de plein fouet les failles dessinées par l’existence. Voilà donc l’expérience proposée. Et puis pour enfoncer le clou, Thomas ne commence pas une nouvelle vie. On dira qu’il persévère, sa désertion ne ressemble pas à une fugue provisoire, ici défection et obstination vont de pair. Tour de vis supplémentaire, Astrid certes délaissée s’obstinera de son côté à ne pas croire à la réalité de la rupture ou tout moins à soupeser les conséquences de la perte. Elle aussi s’obstine dans son silence et sa solitude et ne recommencera pas sa vie. Elle ne cherche pas à remplacer l’homme parti, elle apprivoise au contraire le cours de ses défaillances. Le récit ainsi s’organise sur ce contrepoint du mari et de la femme qui chacun de leur côté frôle les fêlures de l’absence. Pourtant ne rabattons pas trop vite le roman sur son titre français car l’intitulé allemand Weit über das land (Bien au-delà du pays) vise d’autres ambitions. Notamment ce paradoxe saisissant qui veut que ces deux-là continent à s’aimer en se cognant avec constance au temps qui les sépare et aux souvenirs qui inexorablement les rapprochent.

L’un l’autre. Peter Stamm. Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, Christian Bourgois. 

©BR La Revue des Deux Mondes, oct. 2017.

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