LES CORPS SOUFFLÉS DE REI KAWAKUBO

CDG 1L’exposition que le Metropolitan Museum consacre à Rei Kawakubo, créatrice de la marque comme des Garçons, depuis 1969, a quelque chose d’insolite et de merveilleux, à l’image sans aucun doute de la personnalité radicale de sa fondatrice. Au lieu d’envelopper la mode dans le discours habituel des explications et autres arguments sociologiques ou techniques, place aux vêtements rien qu’aux vêtements. Pas de cartels, que des noms fonctionnant par opposition ordre/ chaos, beauté/grotesque pour différencier chaque proposition et des numéros inscrits à même le sol qui renvoient au livret distribué à l’entrée donnant les indications essentielles. Le mise en scène souligne cette répartition par chapitre à l’aide d’une série d’alcôves blanches qui encadre la sélection opérée sur les différentes collections crées depuis près de quarante ans. Ce cloisonnement concentre le regard et permet aussi des surprises car l’installation ne dédaigne pas les présentations à des hauteurs différentes. Tout a été pensé pour favoriser l’expérience du face-à-face et surtout pour souligner la composante architecturale voire théâtrale d’une démarche sans concession. Impossible d’échapper à la confrontation directe d’autant plus que malgré la division du parcours, une impression d’ensemble domine. Une sensation plutôt, annoncée dès le seuil par cette robe en papier marron, froissée de haut en bas, qui bouillonne dans ses plis. Sous le titre The Future of Silhouette, (Le futur de la silhouette, automne hiver 2017-18) cette création constitue en quelque sorte le manifeste de l’événement du Met. Le vent littéralement souffle sans exception sur les corps de Rei Kawakubo. Ils sont tous atteints à des degrés divers bien sûr. Le torse, le dos, les épaules sont emportés par ce mouvement aussi incertain que précis, telle cette robe blanche en mousseline de coton structurée par plusieurs bulbes de tissu noué ou tout simplement cette collection « rembourrée » de 1997 qui fit partie des costumes de Scenario, une chorégraphie de Merce Cunningham. Ici, tout le vocabulaire habituel de la mode a été percuté, les hanches protubérantes, les omoplates saillantes subvertissent le registre habituel de la minceur idéale ou de la ligne parfaite. Pourtant les standards culbutés ne répondent pas à la seule inversion des valeurs mais davantage à la volonté de repenser les corps et non de les soumettre à la beauté fantasmée de la perfection. Il ne s’agit pas plus d’opposer le laid au beau mais de cesser de se livrer au jeu de la dualité, d’habiter l’interstice de l’entre deux, et de se donner enfin la chance de passer en toute liberté d’un camp à l’autre, découvrir en somme d’autres possibles. Cet indispensable va-et-vient nourrit le vent qui rythme l’œuvre de Rei Kawakubo. Rien n’échappe à la tourmente de la recherche d’inconnu. À cet égard, les coiffures participent de la commotion générale. Torsadées, pointues, montées en cônes improbables et défiant l’équilibre sans compter les perruques baroques échevelées ni les boucles composées à partir de partitions musicales, toutes ces chevelures soufflées racontent le bouleversement continu de la mode sous les mains de la créatrice japonaise.

CDG 2

Bertrand RAISON

Rei Kawakubo, Comme des Garçons Art of the in-between

L’exposition a eu lieu jusqu’au 4 septembre 2017

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