ÉCLATS, TRACES, OMBRES

REFLET VENISEL’eau traverse Venise de toute part, c’est entendu. Les vaporetto ne sont pas les seuls à assiéger le grand canal, le flot des ambulances, des carabinieri, des pompiers, des pompes funèbres, des éboueurs, des primeurs, des déménageurs emprunte aussi la même voie. Les embarcations de tous formats passent les ponts, longent les quais, se croisent et s’évitent en souplesse dans le bruissement heurté des moteurs. Chaque passage disperse le reflet tremblé des maisons agglutinées le long des pontons. En amont du marché du Rialto, la façade dentelée de la Ca’ d’Oro miroite dans le soleil matinal. Son dernier propriétaire, le baron Franchetti, collectionneur compulsif, eut, entre autres, la passion du marbre qu’il fit venir à grand frais de Rome pour composer l’étonnant pavement du rez-de-chaussée de son palais. Fasciné par les mosaïques et l’exemple de la place St Marc qu’il avait sous les yeux, il dessina lui même l’entrelacs des motifs. On l’imagine à genoux s’interrogeant longuement sur la disposition de ce somptueux tapis de couleurs où les rouges antiques voisinent avec les jaunes et toute une famille serpentine de vert, de brun, de gris, de bleu, autant de nuances qui s’opposent paisiblement presque sourdement à l’éclat de la lumière se déversant à profusion sur les mur extérieurs. Cette générosité décorative, a tout d’une folie tranquille. Son auteur d’ailleurs inquiet aurait voulu, dit-on, que l’on dispersa ses cendres sur son œuvre afin d’entendre les commentaires des futurs visiteurs. Qu’il soit rassuré et remercié de son entêtement. Non loin de là, le marbre encore à Santa Maria Dei Miracoli est le matériau de base au dedans comme au dehors de cette église du XVe siècle tassée sur son rio. Miracle donc d’une austérité en quelque sorte flamboyante puisque l’architecte a réussi à jouer avec le tracé aléatoire des marbrures. Cette partition des nervures structure l’ambiance quasi sonore de l’édifice. De chaque côté de la nef, des panneaux verticaux étagés sur trois niveaux battent la mesure des rayures accompagnant le fidèle dans sa progression vers le chœur. Bonheur paradoxal de ces simples traces devenues luxuriantes et dont la prolifération multiplie cette impression d’exubérance sur fond de dépouillement. L’enthousiasme suscité par Venise au risque de se gâter a sans doute besoin de ce repli, de cette réserve pour perdurer. Quelques pas le plus souvent suffisent le long des calle pour être pris à l’improviste par l’incertitude des ombres. La surprise dépend peut-être du temps et des heures mais aussi d’un moment d’égarement qui, sans crier gare, vous saisit à l’occasion d’un tour au fond de la lagune. Là près des ifs de l’île du désert, des rais de lumière déchirent brusquement la pénombre des arbres. Rien n’assure le maintien de cette vision dont l’enchantement tient justement à sa précarité.

Bertrand RAISON

Venise II

ILE DU DESERT

SM MIRACOLI 4

S M MIRACOLI 4

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