VOUS AVEZ DIT SUBLIME ?

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Juan Navarro Baldeweg A tropical forest in an artic landscape, 1972

Depuis son inauguration en 2010, le Centre Pompidou-Metz remplit les fonctions muséales propres à l’institution tout en sachant diversifier avec succès les objets de sa curiosité. Les différentes expositions qui s’y sont déroulées tentent à chaque fois de se dégager du carcan hermétique de la seule histoire de l’art. Celle qui vient de s’achever, Cosa Mentale, observait les imaginaires de la télépathie et la dernière en date, Sublime, les tremblements du monde, explore notre rapport aux multiples phénomènes : incendies, inondations, et autres dévastations qui affectent notre planète. Il y a de quoi faire puisque le parcours s’étend sur une période qui va du XVIIIe au XXIe siècle. Cette séquence temporelle conséquente constituée de 300 œuvres, documents et films attend le visiteur de pied ferme. A ce compte là, nous pourrions succomber sous le nombre. Mais non. En articulant la visite autour d’une vision romantique de la catastrophe et de sa réinterprétation par les artistes contemporains, les deux commissaires montrent la persistance d’une notion sur la longue durée tout en présentant les analogies et les différences. Leur parti pris se construit à partir d’une esthétique du sublime conjuguée à l’évaluation de notre corrélation à la nature ; ces deux facteurs empruntant au répertoire romantique leurs fondamentaux. Pour le premier, citons le philosophe Edmund Burke qui, en 1757, décrivait l’ambiguïté de notre attraction face au déchaînement des éléments. Il désignait sous le terme sublime « cette passion mêlée de terreur et de surprise ». Passion qui sautant le cours du temps étreint aujourd’hui une société occidentale fascinée par sa disparition et dont un des exemples serait le film de Lars Van Trier Melancholia, 2011, célébrant l’anéantissement de la terre au son wagnérien d’une funeste collision céleste. Un extrait de cet opus prophétique guette dûment le promeneur au coin d’une salle. Quant à la relation à la nature, si le poète-philosophe Novalis proclamait à la fin du XVIIIe la nécessité de l’intégration de notre corps à l’univers, cette exigence aura été particulièrement repensée par les artistes du XXe et du XXIe siècles et notamment par ceux qui n’hésitèrent pas dans les années 70 du siècle dernier à quitter leur atelier pour travailler en bord de mer, dans les déserts ou sur les sites industriels désaffectés comme Robert Smithson. Voilà donc posée la grille de lecture qui permet le va-et-vient entre des époques dissemblables et surtout de comprendre que notre appétit des calamités n’a rien de spontané, ni d’évident, il a une histoire.

Richard Misrach, Desert fire,1985-1994
Richard Misrach,Desert fire, 1984-1984

Or une fois la trame de l’itinéraire exposée, reste à légitimer la comparaison entre hier et aujourd’hui car dans un certain sens et c’est cela qui est stimulant, les deux sociétés questionnent à des degrés divers un horizon pour le moins incertain. La société pré et post révolutionnaire ira à la découverte des paysages méconnus, se lancera dans de vastes expéditions scientifiques, s’émancipera d’une vision religieuse des choses tout en tentant de dominer la nature. Elle se trouve à l’aube de la révolution industrielle dans l’imminence indécise de son accomplissement alors que nous sommes dans l’après, rattrapés par la conséquence de nos actes. Autrement dit, le charme que les romantiques trouvaient aux escarpements montagneux ou aux coulées de lave, exprime surtout la terreur sacrée face à la fatalité alors que notre modernité nous propulse dans le tumulte inédit d’un gigantesque effet domino nous mettant face à la tourmente incontrôlable d’une situation que nous avons provoquée. Le statut du regardeur a changé : l’observateur s’est mué en acteur. La lanterne magique du milieu du XIXe siècle appelée à ses débuts « lanterne de peur » accumulait sur ses plaques de verre, séismes, avalanches autant d’événements dramatiques dont les manifestations bien visibles éblouissaient les rétines effarées de ses spectateurs. En revanche, l’exsangue forêt sibérienne de la suite photographique de Darren Almond, (Night + fog), 2007 apparaît bien dans la lignée d’un tableau tourmenté de Caspar-David Friedrich représentant les restes d’une abbaye perdue au milieu d’un bosquet de chênes décharnés peint en 1810. Sauf que la citation tourne court car le tronc noirci des arbres du nord sibérien n’évoque aucune élévation spirituelle mais porte davantage la marque des pluies acides qui ont dévasté toute une région polluée par le dioxyde de souffre. Ici rien d’évident, le désastre reste invisible, le spectaculaire a déserté la scène, les sols meurent en catimini.

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Ana Mendieta, Silueta works in Mexico, 1973

La référence romantique est certes conservée en filigrane mais elle subit une singulière érosion. A cet égard, l’Ophélie en pull rose de Barbara et Michel Leisgen, Pink depression (dépression rose, 1982) n’en mène pas large. Mutique, elle ne renvoie à aucune mélancolie. Allongée les bras en croix dans les effluents toxiques d’une usine d’aluminium et le visage enfoncé dans l’eau mourante, l’icône, contrairement à ses coreligionnaires préraphaélites abondamment fleuries, nous tourne le dos pour disparaître dans l’anonymat. Parallèlement à cette débâcle, l’énorme vague aérienne de Tadashi Kawamata (Under the water, 2016) composée de matériaux de récupération surplombe tout l’espace d’une galerie qui lui est spécialement consacrée. Echo du raz de marée qui frappa le Japon en 2011, cette lame spectaculaire ne cesse de charrier le spectre de son effondrement. Toutefois, en contrepoint à la déroute annoncée, la présentation, loin d’amplifier l’alarmisme ambiant, aménage toute une section réservée aux démarches alternatives et utopiques. Le dôme synthétique recouvrant New-York, imaginé vers 1960 par l’architecte Buckminster Fuller est censé protéger la ville des variations trop importantes de température et de la préserver de la pollution. L’ingénieur-penseur concevra aussi des cités voguant au fil de l’air et des nuages. A ce mythe aérien correspondra quelques années plus tard une version du village sous-marin développé par Jacques Rougerie et destiné à accueillir une communauté d’aquanautes immergée à 40 mètres de profondeur. Excédant le savoir-faire technique, d’autres médiations se mettent en place à l’instar de l’importance accordée à Ana Mendieta et Gina Pane, deux formidables artistes qui, dans les années 70, ont su reprendre des gestes de restauration symbolique de la nature. Que l’une laisse l’empreinte de son corps dans la terre ou que l’autre s’efforce d’enfouir un rayon de soleil dans le sol, nous sommes loin de la représentation exaltée des phénomènes naturels. On perçoit bien le changement et l’espoir qui malgré tout subsiste même si le sublime a quitté l’esthétique du grandiose pour celle du désarroi. D’ailleurs, c’est tout l’intérêt de cette exposition que d’avoir proposé l’histoire culturelle de cette transformation.

Bertrand RAISON, La revue des deux mondes, mai 2016

Sublime. Les tremblements du monde. Centre Pompidou-Metz. Du 11 février au 5 septembre 2016

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