
Moqué, vilipendé, porté aux nues, que n’a t-on dit d’Henri Rousseau (1844-1910) surnommé le douanier. Pourtant rien n’a arrêté ce commis de l’octroi de la porte de Charenton de poursuivre en autodidacte son chemin dans la peinture. Effectivement dans les dernières années du XIXe siècle, son œuvre hybride, foisonnante pouvait surprendre le public. Ses animaux folâtrant dans l’entrelacs des feuillages tropicaux avaient de quoi déconcerter la critique désarçonnée par une exubérance décapante mettant à mal toutes les règles classiques de la représentation. On riait mais on finit par admirer avec la volonté de célébrer un cas isolé pour mieux le circonscrire. On en fit le peintre naïf par excellence, le représentant idéal de l’enfance retrouvée en ignorant délibérément son travail de copiste au Louvre et sa formation auprès de peintres reconnus. Bref, tout le monde y trouvait son compte. Sa maladresse supposée réjouissait, les surréalistes vantaient son imaginaire débridé et chacun se délectait de cet aérolithe insolite. L’exposition d’Orsay a le mérite de briser ce carcan assez convenu en multipliant les questions et les relations que les toiles du Douanier tissent en amont et en aval de sa production démolissant avec bonheur le poncif paresseux de l’excentricité sans pour autant dissiper l’impact de son extravagance. Le parcours met l’accent sur les antécédents du Douanier et sur son influence avec une incursion formidable outre atlantique du côté des peintres américains du XIXè siècle qui, eux aussi, empruntent des voies parallèles assez proches de celles du Douanier. Si Henri Rousseau a bien sûr regardé de prés ses contemporains, il a, lui aussi, été examiné à la loupe par ceux qui l’ont suivi. Ainsi ce portrait paysage dont il se déclare l’inventeur, accorde autant d’importance au fond du tableau qu’au premier plan, se trouve en bonne compagnie tant auprès du Portrait de l’homme au bonnet rouge (1490) de Vittore Carpaccio que de cette Vénus à Paphos, (1852) de Jean Dominique Ingres. Du côté de ses adeptes, citons Carlo Carrà, le cofondateur du futurisme italien qui retint particulièrement la leçon du Douanier. Mais pour remettre les pendules à l’heure voici comment ce dernier définissait sa place dans l’histoire de l’art à l’occasion d’un dîner au bateau-lavoir offert en son honneur, en 1908. Il déclarait notamment à Picasso : « Finalement, nous sommes les deux grands peintres de l’époque, toi dans le genre égyptien et moi dans le genre moderne. »
Bertrand RAISON
Le Douanier Rousseau L’innocence archaïque.Du 22 mars au 17 juillet 2016. PalaceCostes N°61 janvier-mars 2016