
L’actualité faisant bien les choses, la rétrospective Anselm Kiefer au Centre Pompidou renvoie à une autre exposition qui lui est consacrée au même moment à la Bibliothèque Nationale de France. Une belle opportunité qui laisse au visiteur la possibilité d’apprécier l’ampleur d’une œuvre qui, depuis la fin des années 60, ne cesse d’affirmer que le passé ne passe pas. Né en 1945, dans les décombres de l’Allemagne de l’après-guerre, Anselm Kiefer fouille les ruines recueillant ça et là des éclats de lumière ensevelis dans la mythologie et la littérature. Et effectivement il y a un monde Kiefer. D’un côté, à la BNF ses livres uniques en plomb rarement vus et qui représentent plus de la moitié de sa production. De l’autre, à Beaubourg, les tableaux monumentaux et les objets les plus divers : plantes, ferrailles, photographies réunis dans des vitrines comme autant de souvenirs enfouis émettant encore une faible lueur. Mais quand on dit monde, il faut le prendre à la lettre car les différents ateliers de Kiefer se présentent sous l’aspect d’une architecture considérable déployée sur plusieurs niveaux. Celui qu’il a occupé à Barjac et construit de ses mains dans le sud de la France ne comporte pas moins d’une quarantaine de bâtiments, de tours, de tunnels aériens et souterrains, et des kilomètres de sentiers. Son univers vit au rythme du cosmos, de la reconfiguration continue des corps célestes pris dans le mouvement incessant de la destruction et de la reconstruction. D’où son intérêt pour les pratiques alchimistes non pas tant pour obtenir de l’or à partir du plomb que pour le processus de transformation dans lequel il inscrit toute sa démarche. C’est en alchimiste qu’il interroge la putréfaction des matériaux, paille, fougère, cendre ou qu’il expose le plomb aux variations des conditions atmosphériques. L’historien d’art Daniel Arasse disait de lui qu’il était le maître du labyrinthe ce à quoi il répondait « certes, mais sans fil d’Ariane ». Donc, nous voilà prévenus, la désorientation guette le visiteur mais c’est à ce prix que peut l’on suivre Anselm Kiefer dans les entrelacs de l’identité allemande. Un cheminement qui réserve quelques surprises puisque le cœur de ce parcours interroge sans relâche la création du monde telle que la raconte la Kabbale. Ce rapprochement avec la mystique juive nous amène au bord des catastrophes de l’histoire, une manière de revenir sur le cycle sans fin de l’effondrement et de la restauration dont l’œuvre questionne âprement les convulsions.
Bertrand RAISON
Anselm Kiefer Centre Pompidou, 16 décembre au 18 avril 2016, PalaceCostes N°60 Novembre-décembre 2015