La galerie PalaceCostes accueille Gilbert and George. La signature de ces deux dandys impeccables parcourt le monde depuis bientôt 45 ans. En 1970, à leur sortie de St Martin’s School, la turbulente école d’art Londonienne, un de leur professeur leur avait lancé « J’espère vraiment que vous n’aurez pas de succès, mais j’ai bien peur du contraire ». La prophétie s’est pleinement réalisée et le drapeau de la provocation flotte sur toutes leurs réalisations. A contre courant des mouvements minimalistes et conceptuels de l’art contemporain, les deux artistes ouvrent la porte aux bruits de la rue. On reconnaît l’œuvre, elle s’apparente à la technique du vitrail, aux couleurs vives et à ces multiples damiers qui organisent l’espace ; ce qui leur permet de découper le réel, de travailler les motifs, de ciseler les répétitions tout en maintenant une certaine distance. La dernière série en date Scapegoat (bouc émissaire, 2013) convoque les thèmes du quartier multi ethnique de l’East End qu’ils habitent depuis des décennies. Des canettes de gaz hilarant abandonnées par les drogués sur le trottoir scandent la grille visuelle d’une urbanité éclatée ou les femmes en burqa voisinent avec des injonctions anti religieuses et les profils de Gilbert et George surfant sur l’agitation de la rue. Avec eux on ne se voile pas la face, la clameur du monde vous monte à la gorge. C’est frontal, direct mais avec toute la civilité irréprochable de deux artistes qui parlent d’une voix et qui ont fait le pari d’être dans leur vie des sculptures vivantes. Avec eux l’art et la vie se confondent et c’est dans cette confrontation paradoxale qu’ils s’inventent en permanence. Rencontre
La promenade que vous proposez autour du quartier que vous habitez à Londres dans votre dernière série « Scapegoat » – (bouc émissaire) n’a rien d’une promenade de santé, c’est le moins qu’on puisse dire ?
Oh vous savez, c’est une promenade autour de notre vie. Nous avons subi les attentats de l’IRA,[1] des Islamistes, les attentats dans le métro. Nous montrons la modernité de notre environnement urbain, et pas seulement celui de Londres mais du monde entier. Nous vivons tiraillés entre un monde profane, le nôtre, et un monde religieux qui s’oppose violemment aux valeurs de la modernité. Et ce monde religieux se répand et s’immisce de manière spectaculaire dans notre quartier. Nous ne portons pas de jugement. Si vous marchez dans Londres, vous rencontrez des jeunes gens « euphoriques ». Nous utilisons dans nos images la représentation de ces « cannettes » qui les font planer, qui les font rire et que vous trouvez éparpillées à tous les coins de rue.
Ces cartouches vides de « gaz de hilarant » ressemblent à des bombes. La guerre en riant en quelque sorte. Vous devez sûrement apprécier ce paradoxe ?
Oui et pour mieux en profiter nous avons particulièrement agrandi le format de ces cannettes afin d’accentuer le caractère violent de ces objets. Mais ce qui nous impressionne, c’est qu’aujourd’hui les attentats et les assassinats remplissent la une des journaux. C’est beaucoup plus violent que nos propres images. On pense que l’on appuie sur le bon bouton, c’est à dire que l’on appuie sur un bouton bien réel. D’habitude en Angleterre, les gens le matin se disent bonjour. Aujourd’hui silence, des groupes entiers s’excluent de la vie publique.
Pourtant vous mêmes, à l’époque, vous avez aussi décidé d’être à part, de mener votre vie comme vous l’entendiez en tant que Gilbert and George, être des sculptures vivantes ?
Certes, mais lorsque nous étions étudiants, l’abolition de la ségrégation raciale aux Etats-Unis a été célébré dans toutes les universités de même que l’abolition de l’Apartheid en Afrique du sud, la décriminalisation du sexe. Nous pensions vraiment faire partie de ce mouvement de libéralisation. Et là subitement des communautés s’auto-excluent volontairement par la nourriture, leurs habits, leurs livres, leurs idées.
Pour revenir à votre série Scapegoat – bouc émissaire, c’est la première fois que vous vous éloignez des titres descriptifs voire neutres ?
Ce titre témoigne de cette tendance aujourd’hui de chercher à tout prix un coupable. Partout en Angleterre et c’est la folie de notre modernité, chaque groupe accuse l’autre. Nous avons toujours été critiqué par la gauche pour la simple raison que nous n’affirmions pas être de gauche. En Angleterre, c’est un crime que d’annoncer dans le milieu artistique que vous achetez le « Daily Telegraph » (journal associé au parti conservateur). Critiqués aussi parce que l’on nous reprochait notre homosexualité.
Les deux affiches spécialement composées pour la galerie PalaceCostes ont été éditées à partir deux images de la série « Scapegoat ». A quoi correspond ce choix ?
Thro et Dales synthétisent l’esprit de cette série, c’est la raison pour laquelle elles ont été choisies. Très peu d’images peuvent donner lieu à des affiches. Thro (à travers) est particulièrement intéressante pour ce regard à brûle pour point. Si l’on passe à côté on ne peut qu’être intrigué et ressentir cette peur qui émane de la série. Jamais nous ne ferions une affiche pour sa simple qualité esthétique, il faut qu’elle transmette le principe de la série. Thro réunit ces principaux éléments, la canette-bombe, le masque, Gilbert and George. Quand nous créons, nous pensons en priorité à l’impact. Que va retenir le visiteur de notre exposition ? Nous souhaitons l’inquiéter. Il doit pouvoir se souvenir de ce qu’il a vu, garder une trace, peu importe laquelle. Nous travaillons pour qu’il y ait cette possibilité de mémorisation. Si nous n’y arrivons pas, à quoi bon continuer à faire de l’art.
Propos recueillis par Bertrand Raison
Gilbert & George Scapegoat, pictures for Paris 7 septembre-15 novembre 2014 Galerie Thaddaeus Ropac Paris Pantin Galerie PalaceCostes. Palace Costes N°54 9-10.2014
[1] Irish Republican Army