Martial Raysse dans la foulée des Nouveaux Réalistes des années 60 apparaît comme la figure solaire de ce groupe qui, avec Raymond Hains, Yves Klein, Arman et Jacques Villeglé, entre autres, allait secouer la torpeur de l’académisme alors triomphant et dynamiter l’ennui distillé par les modernistes bien trop assis dans leurs convictions. Membre à part entière de ces trublions de l’avant-garde, menés sous la férule du critique Pierre Restany, Martial Raysse allait cependant très vite prendre ses distances. En fait, ce qui intéresse cet autodidacte, né en 1936, à Golfe-Juan-Vallauris, c’est l’expérimentation, la volonté acharnée de ne pas se répéter, d’échapper « aux rentiers de l’art ». Celui qui fut à ses débuts l’un des meilleurs peintres abstraits de sa génération, n’hésita pas à changer de cap. Fasciné par le plastique à la fin des années 50, il utilisa aussi bien le néon que les objets qu’il intégrait à ses tableaux ce qui l’apparenta du coup au Pop art made in France. Ignorant la bénédiction du nouveau réalisme, il partit vivre à Los Angeles, patrie de la liberté expérimentale qui convenait fort bien à son amour profond du mauvais goût. Etape importante que ce passage sur la côte ouest qui lui permet de s’extraire de toutes les orthodoxies et d’aborder avec la gaieté du contre emploi le cinéma aussi bien que la sculpture. Si le retour en France dans les remous de 1968 ressemble à un retrait de la scène artistique, il trace son sillon envers et contre tout. N’ayant rien oublié de cette rage qui l’anime, cet inquiet optimiste revisite aussi bien la culture savante que la culture populaire, la grande toile du Carnaval de Périgueux 1992 » en est un des échos. Dans un de ses entretiens avec Catherine Grenier, commissaire de l’exposition, il assume sa place dans son rapport à la tradition picturale. Novateur, Martial Raysse l’est non pas parce qu’il effectue un retour à la peinture mais qu’il avance vers elle. « Raphaël –dit-il- n’est pas derrière moi, il est loin devant moi, il est très en avance. »
Dans les années 60, vous disiez « Les Prisunic sont les nouveaux Musée d’Art Moderne » que diriez vous aujourd’hui ?
A l’époque, j’entendais toujours parler du modernisme de l’art moderne et je voulais pointer que le véritable moderne ne se trouvait pas là. Aujourd’hui, je dis que c’est l’intelligence qui est toujours moderne.
Etait-ce seulement par provocation que vous affirmiez que « depuis longtemps je ne parle plus du Nouveau Réalisme, c’est nul… » ?
Non, non. Je pense vraiment que tout cela est médiocre et ne survit que par ceux qui en vivent. Il faut bien comprendre que l’histoire de l’art que l’on connaît, c’est l’histoire de l’art des marchands de tableaux, mais une autre existe.
On parle souvent de vos changements de cap depuis vos premières œuvres « abstraites » avant même le Nouveau Réalisme. Mais il n’y a-t-il pas autant de constantes que de ruptures. Par exemple : des néons d’ « America America » (1964) au portrait qui accueille depuis 2005, les spectateurs parisiens du cinéma MK2, quai de Loire ?
Pour moi, en effet je vois plutôt les constantes, ne serait ce que par le simple fait que l’on ne peut être autre chose que soi même. Si j’ai changé, c’est toujours dans le but de mieux faire, mais si nous parlons du néon, je le considérai à l’époque comme soulignant les formes, mais je n’avais pas conscience que c’était du dessin.
Quels liens établissez vous entre les icônes de la femme pop des 60, (Peinture haute tension, 1965) et celles des années 2000 de « Marianne » à « Yolanda » ?
Pour moi, sur le fond, c’est quasi pareil, à la différence près que c’est beaucoup plus réussi aujourd’hui car dans les années 60, j’étais encore tributaire de l’art dit « moderne » ; un art d’aplat, sans ombre, sans nuance et sans perspective. Désormais après tant d’années de travail, les visages sont plus vivants et attrayants, comme il sera facile de le constater dans l’exposition du Centre Pompidou.
Ce qui est particulièrement stimulant dans votre itinéraire, c’est le rapport étroit qui existe entre la peinture et la sculpture que vous avez toujours menées de front. Ils se nourrissent semble t-il l’un l’autre ?
Vous savez la peinture, c’est avant tout une affaire de concentration, pour ce faire, il faut se livrer à une sorte d’ascèse. Je n’avais pas un goût particulier pour la solitude mais après trente années, c’est devenu une seconde nature ? La peinture ce n’est pas une course de côte, c’est du temps long et c’est de ce poids du temps dont elle témoigne dans toute son histoire.
Parmi les rares artistes qui retiennent votre attention vous citez Lucian Freud, Pourquoi ?
De tempérament, je n’ai pas un penchant particulier pour les sujets de Lucian Freud, mais à force de travail il a atteint un niveau si remarquable en peinture que l’on peut vraiment apprendre en regardant ses tableaux. Mais j’apprends aussi en regardant Michael Borremans* qui n’est encore qu’un gamin, car l’on apprend de tout bon peintre.
Propos recueillis par Bertrand Raison
* Peintre et dessinateur belge, né en 1963, actuellement exposé au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles jusqu’au 1er juin 2014
Palace Costes N°52 avril-mai 2014
Martial Raysse. Rétrospective 1960-2014. Centre Pompidou. Du 14 mai au 22 septembre 2014