CLAUDE LÉVÊQUE, L’ART DU HOLD-UP

Claude Lévêque, inaugure la toute nouvelle galerie PalaceCostes, rue Saint-Honoré, soit deux vitrines de l’hôtel du même nom mises à la disposition des artistes invités. Dans la lignée du travail de Christian Boltanski et d’Annette Messager, Claude Lévêque, né en 1953 à Nevers,  brasse, depuis plus de trente ans, les zones enfouies de l’enfance, ces territoires de nos émotions et de nos affects que nous refoulons ou que nous ignorons. Reconnu sur la scène internationale, il intervient aussi bien à Tokyo qu’à Chicago. C’est à partir de 1982, diplôme des Beaux-Arts de Bourges en poche, qu’il entre par effraction dans l’univers des musées et des centres d’art. Ses mises en scène spectaculaires ou discrètes mélangent le son, l’écriture, les objets, les images et la lumière. Il représente la France à la biennale de Venise, en 2009,  avec Le Grand Soir, un parcours énigmatique et sombre au milieu de cages en inox noyées dans une bande son de moteur de bateau. A voir les carcasses de lit suspendues du Grand sommeil, 2006, ses installations se présentent sous la forme du hold-up. Cet art consommé du cambriolage de nos intérieurs cadenassés fait feu de tout bois pour inverser le temps de nos souvenirs, et faire chavirer l’imaginaire en vue d’accueillir des ombres nouvelles. Rue Saint-Honoré, il utilise l’écriture sobre et tremblée du  néon, à l’image de ces éclats qui composent par intermittence la rumeur urbaine. Revue de détail.

Comment avez vous répondu à la commande qui vous a été faite ?

Quand Kamel Mennour m’a proposé ce projet, c’est-à-dire occuper les deux vitrines de la galerie PalaceCostes  pendant six mois ; je me suis dit que j’allais utiliser des mots pour exprimer  les sensations qu’on peut ressentir dans Paris. J’adore la place Vendôme, j’adore ce lieu, même si ce n’est plus ce qu’il était à l’époque de ces  vieilles bijouteries, objets de cambriolages légendaires, dont on trouve la trace dans le film de Jean Pierre Melville Le Cercle Rouge.  A part quelques enseignes prestigieuses, ces vieilles maisons ont été remplacées par des chaînes qu’on trouve partout des Champs-Elysées, aux Halles. J’ai tourné dans le quartier et j’ai choisi d’intervenir à chaque fois avec un diptyque composé de deux mots, un par vitrine. Cette série sera renouvelée tous les mois jusqu’en juillet.

Vous avez choisi de commencer par nuit/rumeur, pourquoi ?

Ce sont des mots qui font partie de notre quotidien, qui font partie de la rue, des lieux communs du langage. On peut disparaître dans la nuit. La rumeur, c’est la rumeur de la ville, la rumeur de la parole des passants, un écho urbain. Ils forment une dualité ambivalente, certes, mais rien de bavard. De plus les vitrines sont petites, j’aime bien cette dimension. J’ai vraiment calculé l’échelle des inscriptions pour obtenir une sorte d’apparition fantasmée. C’est aussi le choix de l’écriture au néon, ce néon bleu entre le blanc froid et le légèrement bleu, un peu comme le ciel. Tout ça joue avec le reflet de la rue, car il est difficile d’isoler cette écriture du contexte de l’Hôtel Costes, des piétons, des voitures.

La recherche de la discrétion légère passe t-elle aussi par l’écriture tremblée des néons ?

C’est l’écriture de mon filleul Romaric que je fais écrire depuis deux ans. J’aime son aspect incertain, sa maladresse qui n’a rien d’un style. Elle évoque une fragilité, tout le contraire des enseignes lumineuses qui cherchent un impact publicitaire. Les mots n’ont rien de dogmatique, ce sont des  murmures dans la ville. Ils correspondent au titre de la série, Eclats, qui s’étale sur six mois. Un éclat c’est pareil,  c’est ambivalent, un éclat d’obus, un éclat de rire, comme cela peut être quelque chose qui se désolidarise du corps ; toutes sortes de sens possibles. Et en même temps, il n’y a rien d’éclatant dans ce dispositif. C’est presque tout le contraire.

 Quel a été votre critère de sélection ?

J’ai éliminé énormément de mots. Il fallait trouver le bon dialogue entre eux sans pour autant leur faire dire quelque chose de précis. A la limite, les mots peuvent être lus par des gens qui  ne comprennent pas le français. Ils voient les mots et la fragilité de l’écriture, cela suffit.

Cette suite pourrait-elle être présentée dans un autre lieu ?

On peut toujours réadapter l’ensemble, mais elle sera toujours montrée deux par deux, jamais d’un seul tenant. Au départ, c’est fait spécifiquement pour le lieu. Je ne dissocierai pas les couples de mots, ce seront toujours les mêmes, mais jamais présentés de manière exhaustive. La vision de la liste entière nuit à l’aspect flottant, à l’aspect extrêmement volatil des mots. Ils ont malgré tout une résonance particulière parce qu’il y a la rue autour. Les montrer de nouveau exigerait de tout recalculer.

Vous dites portails quand vous parlez des vitrines, faut-il entendre que les mots ouvrent des portes ?

C’est le format de la vitrine qui fait penser à ça. Un hôtel, c’est un lieu de passage. On va et vient. Si les portent restent ouvertes on peut apercevoir quelque chose. Elles peuvent aussi bien être entrebâillées que complètement closes. Mais vous savez, il y a des gens qui ne repasseront jamais de leur vie devant les vitrines de l’hôtel.

Propos recueillis par Bertrand RAISON, Palace Costes  N°51 février-mars 2014

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