Emmanuel Perrotin a le sens de la scène, il aime la nuit et la fête. A tel point que, dès ses débuts, il a choisi de travailler dans l’univers des galeries d’art. Lieu idéal qui, n’ouvrant pas avant 11 heures du matin, lui laisse le temps de se remettre de ses échappées nocturnes. Cet heureux commencement placé sous le signe de la fièvre musicale annonce le succès non moins électrique de son entreprise. Aujourd’hui, galeriste confirmé, porte drapeau de l’art contemporain, il a pignon sur rue à Paris, Hong Kong et New-York. L’ex noctambule dirige une cinquantaine de personnes et représente plus de trente artistes et non des moindres : Maurizio Cattelan, Xavier Veilhan, Sophie Calle… Grâce à son flair, on lui doit la première expo de Damien Hirst, en 1991 qui depuis a défrayé la chronique du marché l’art avec des œuvres qui ont atteint des sommes mirobolantes. Epoque héroïque où, traversant la Manche, il transporte lui même les pièces de l’artiste dûment sanglées sur le toit de la voiture de sa mère. C’est lui encore que l’on trouve au démarrage du japonais Takashi Murakami, en 1994, l’auteur des créatures papillonnantes rose bonbon, accompagnées de sculptures suaves. Malheureusement, les découvertes n’assurent aucune exclusivité et Emmanuel Perrotin a vu avec regret ses trouvailles partir à la concurrence, ce qui ne l’a pas empêché de rebondir et de gravir peu à peu tous les échelons de la reconnaissance.
A 45 ans, il fête ses 25 ans de métier au Tripostal de Lille, à l’invitation de Martine Aubry. Une exposition-fleuve sur 6000 m2 qui réunit jusqu’au 14 janvier 2014 tous ceux qui sont passés par la galerie, les membres fidèles comme les nomades. Une liste ébouriffante, de Wim Delvoye à Philippe Parreno, qui donne un aperçu du trajet parcouru par cet autodidacte qui installe à 21 ans sa première galerie dans un appartement du Marais à Paris. La formule de cette réussite tient-elle finalement à ce que ses détracteurs lui reprochent : pas de ligne directrice évidente, un néo pop brutal ?… Mais la cohérence ne viendrait-elle pas de cette aptitude à capter justement les mouvements les plus contradictoires et à prendre des risques ? Il fallait oser l’aventure parisienne, bref, avoir la fibre de l’entrepreneur et le sentiment très vif que tout peut s’arrêter à l’image de ces personnages de Fitzgerald qui le fascinent. On sent bien qu’il ne défend pas une chapelle esthétique, mais qu’il aime s’engager auprès de ses artistes en participant financièrement à la production de leurs projets. Un enthousiasme qui a convaincu Maurizio Cattelan, qui a transformé, en 1995, son galeriste en un gigantesque lapin-pénis rose du plus bel effet. Ce joueur aime les coups de poker et l’ouverture de l’annexe New-Yorkaise cette année y ressemble fort, car là-bas comme ailleurs la chasse aux artistes est ouverte. Le voilà bien dans la fosse aux ours en compagnie des mammifères synthétiques polaires de Paola Pivi qui font l’objet de sa première exposition américaine.
Bertrand Raison
Palace Costes N°50 octobre-novembre 2013