Avec Bill Viola, la vidéo entre (enfin) au Grand Palais. L’institution reconnue pour ses grandes monographies de référence ne pouvait plus ignorer cette nouvelle forme d’art née dans les années 60 et dont l’américain Bill Viola est une des figures majeures pour ne pas dire le père après Nam June Paik. Ses œuvres présentées dans les musées du monde entier font figure d’étape aussi bien dans le développement artistique de ce médium que dans son évolution technologique. Après tout, si la prestigieuse Galerie des Offices de Florence vient à peine de montrer son autoportrait, la Réunion des Musées Nationaux se devait bien de sauter le pas.
Dans la foulée de l’exposition Braque, voici donc une vingtaine d’œuvres magistrales disséminées sur une trentaine d’écrans reprenant de 1977 à 2013 les principales séquences d’un univers tout entier dévolu à l’interrogation du temps et de l’espace. Soit quarante ans de réflexions autour d’un des événements clés de sa vie sur lequel il est constamment revenu. A savoir sa chute dans un lac à six ans. Une quasi noyade qui lui a permis dit-il « d’apercevoir entre deux eaux un monde extraordinaire » dont tout son travail tente de ressaisir la beauté. Le visiteur retrouvera ce motif de l’immersion tout au long d’un parcours divisé en trois grands chapitres qui, sur différents formats, met l’accent sur cette expérience déterminante. The reflecting pool (1977-79), qui ouvre l’itinéraire, fournit dans un sens tout le programme à venir. Car, outre le jeu faussé des silhouettes se réfléchissant dans la piscine, il y a surtout cette insistance du cadre à rester sur la même image afin que l’on voit bien que rien n’est jamais fixe et qu’il faut être aux aguets pour percevoir les moindres changements. A force de patience, l’attente s’intensifie et ce qui vient n’est pas le prévisible. Le plongeur saute et sur un cri s’immobilise, reste en l’air sans toucher l’eau. Ce choc visuel mélange deux contraires : l’instant suspendu et son étirement dans le temps. Puis tout se dissipe et revient à l’étale. Si l’on se résignait à résumer, on pourrait dire que ses œuvres se chargent pour diffuser leur dose d’incertitude. Chaque « vidéo » expose ainsi des surfaces inquiètes qui tels des microscopes explorent des régions invisibles à l’œil nu. Chott El-djerid ((1979), ce portrait de lumière et de chaleur dit le sous titre, offre le mouvement des images dilatées sous l’effet du soleil du désert. Mirages optiques au ralenti, et mirages du peintre dont les outils technologiques se placent directement dans la filiation de la grande tradition des paysages de la renaissance italienne ou de Turner. Paradoxe ici de cette avant-garde technique qui se place sous le signe de la lenteur et paradoxe encore de ce ralentissement des choses et des êtres qui n’exclut pas la commotion des sensations. Ebranlement indispensable en somme à la révélation de cette « autre » réalité poursuivie par la femme en feu (2005) et les rêveurs immergés (2013).
Bertrand RAISON
Bill Viola. Grand Palais 5 mars – 22 juillet 2014. Palace Costes N°51 février-mars 2014