Roy Lichtenstein (1923-1997), figure emblématique du pop art américain, a été trop vite associé à la critique voire à la célébration de la société de consommation dont il a décrit à satiété les objets. Le combat aérien de Whaam (1963) emprunté à l’univers de la bande dessinée est devenu le cliché de son travail de peintre et comme tel, il a contribué à masquer la production de l’artiste en la focalisant sur les années 60 et en oubliant le céramiste, le graveur et le sculpteur. L’exposition de Beaubourg, première rétrospective complète de l’œuvre en France et donc inédite à bien des égards devrait, à la suite des présentations de Chicago, de Washington et de Londres, contribuer à remettre les pendules à l’heure. Ou tout au moins à ne pas s’en tenir à la seule explication lapidaire que donnait le britannique Richard Hamilton (1922-2011) père du pop art anglais en ramassant ce mouvement sous la formule suivante : « Populaire, éphémère, jetable, bon marché, produit en masse, spirituel, sexy, plein d’astuces, fascinant et qui rapporte gros. »
Bien sûr, la provocation reste d’actualité mais c’est encore trop général. Car, et pour en revenir à l’explosion de Whaam, si la composition en diptyque montre un zinc en descendant un autre c’est aussi et surtout, comme le dit très explicitement Lichtenstein, un tableau qui tire sur un tableau. A suivre le fil, on peut ajouter un tableau qui tire sur le sujet. Car venu de l’Expressionnisme abstrait, Lichtenstein ne l’abandonne pas en choisissant de reprendre les images de la bande dessinée. Bien sûr, il cite les motifs de la culture de masse mais il s’emploie à l’aide d’une trame de points (visible sur l’aile du chasseur américain) qui deviendra sa marque de fabrique, à faire disparaître minutieusement l’imagerie sous une forme technique extrêmement élaborée et minutieusement travaillée à la main. Une hypothèse tentante suggérée par la commissaire Camille Morineau et dont la série des miroirs sans reflet des années 70 serait en quelque sorte l’aboutissement logique. De même à la fin du parcours, en contrepoint exact de Whaam, la reprise d’un paysage chinois traditionnel (Paysage avec rocher de lettré, 1997) s’estompe sous le brouillard du tamis de points qui le recouvre. Les sculptures adeptes de ce programme abstrait refusent le rond de bosse et adoptent l’aspect bidimensionnel des figures glacées de la période pop. Rien donc d’arbitraire dans cet itinéraire qui apparaît moins comme le triomphe de l’image que celui de l’unité formelle du tableau. C’est dans ce sens que Lichtenstein relira sans complexe toute l’histoire de l’art, citera Matisse, Léger, Klee ou Miro qu’il intègrera au réseau de ses toiles ou dans ses nombreux « atelier d’artiste ». Sur sa lancée, il n’hésitera pas à mettre en scène Mickasso, sorte de personnage hybride entre Mickey et Picasso. Clin d’œil humoristique au Look Mickey, (Regarde Mickey, 1961) qui, près de quarante ans plus tôt, annonçait l’arrivée fracassante de Roy Lichtenstein sous les projecteurs de l’art contemporain.
Bertrand Raison
Palace Costes N° 48 juillet-août 2013 Roy Lichtenstein Centre Pompidou 3 juillet-4 novembre 2013