Les étiquettes de l’histoire de l’art traduisent certes la succession des mouvements et des courants qui se sont succédés mais elles ne sauraient fort heureusement épuiser le sujet ni définir les artistes qu’elles sont censées répertorier. C’est le cas notamment des sculptures dites réalistes de Ron Mueck face auxquelles le visiteur confondu par la virtuosité de la reproduction ne sait plus sur quel pied danser. On peut toujours appeler à la rescousse le Pop Art ou l’hyperréalisme sans pour autant écarter le trouble qui, à chaque fois que des œuvres de Ron Mueck sont présentées, s’empare des spectateurs. Que dit en effet, cet innocent baigneur, enduit de crème solaire, (Drift, 2009) accroché à son matelas pneumatique ? Suffit-il d’y voir la description d’un paisible bain de soleil ou faut-il s’inquiéter de ce qui se cache derrière les lunettes noires du vacancier. Tout va bien sauf qu’il est littéralement pendu au mur, et qu’il disparaît presque sur un fond turquoise simulant l’océan. Il flotte ainsi à l’horizon au-dessus de la tête des spectateurs. S’abandonne-t-il à la rêverie ou est-il laissé à l’abandon ? Et ses deux bras qui pendent au ras de l’eau, n’est ce pas là, le souvenir diffus d’une référence pour le moins surprenante si l’on associe l’image de cette dérive des loisirs modernes à la figure plus ancienne de la crucifixion ?
A ce glissement fortuit des associations s’ajoute tout un jeu d’échelle des objets représentés qui ne sont jamais à taille humaine. Du garçon (1999) accroupi de cinq mètres de haut aux deux vieilles femmes (2005) qui ne dépassent pas le mètre, le rapport des hauteurs perturbe constamment la perception. Flottement accentué par l’extrême précision de l’imitation qui fait douter de la pertinence des oppositions entre la copie et l’original. Incertitude qui habite au plus haut point cette statuaire capable de façonner par le biais des matériaux employés -fibre de verre, résine, silicone- tous les signes de la véracité corporelle : des grains de beauté à la disposition parfaite des cheveux sans oublier les veines et les rides. Pour un peu comme dans le conte, la statue pourrait revenir à la vie. Et pourtant, non, la Belle au bois dormant ne sortira pas de son sommeil mais en attendant le monde conçu par Ron Mueck s’éveille bel et bien agité par l’ambiguïté affichée de ses personnages. Au premier rang de ceux-ci son autoportrait (Mask II 2001-2002), recompose son propre visage surdimensionné aux paupières baissées et incliné sur le côté droit. Assoupi, l’artiste à mi-chemin du rêve et de la réalité songe aux créations qu’il nous propose et surtout aux différents éléments narratifs qui accompagnent ses réalisations. Formes quasi romanesques que nous reprenons dans les multiples récits de nos vies partagées entre le réel et l’imaginaire nous accordant ainsi aux mystères universels de ce sculpteur de contes.
Bertrand RAISON
Ron MUECK Fondation Cartier 16/4/2013 – 29/09/2013
Palace Costes N° 47 avril-mai 2013