Directeur de création, graphiste designer et artiste tout court d’ailleurs, Leif Podhajsky, la trentaine alerte, court sur toutes les latitudes. Cet Australien virtuose de la palette digitale hante les écrans des amateurs de musique du monde entier. De Melbourne à Berlin en passant par Londres où il réside actuellement, il travaille avec les labels ou en direct avec les musiciens notamment ceux de Tame Impala, groupe de rock australien dont il dirige la production visuelle. Du jour au lendemain pour ainsi dire et sans qu’il s’en rende compte les commandes sont tombées, l’industrie musicale voulait sa signature sur tous les supports : cd, albums, pochettes, vinyles, singles, sans compter les images qui hors des bacs sortent uniquement en version numérique. Alors la liste s’allonge tous les mois, et les mises en page ou en scène se multiplient. On lui doit notamment la couverture de Holy Fire, le nouvel album des Foals, groupe anglais de rock indé, version math rock, sorti le 11 février de cette année. La chanteuse suédoise Lykke Li, les américains du Young Magic et la galaxie australienne The Vines, ceux du Miami Horror ou du duo pop The gypsy & The cat comptent tous sur ses services. Mais il faut qu’il aime ce qu’ils font. C’est l’homme du swing musical, du son un brin grunge aux glissements mélodiques répétitifs et de l’ambiance des raves parties des années 80, bref, à l’entendre, de tout ce qui l’emmène un peu loin.
S’ennuyant semble-t-il à Melbourne où son travail graphique a fait beaucoup d’émules, il a pris le large vers le vieux continent renouant avec l’héritage de ses grands-parents polonais. Partir pour s’accorder du temps, investir d’autres territoires, se dépayser. A part les références liées au monde de la musique, sa boutique en ligne propose des foulards et des sérigraphies en éditions limitées dans lesquels on retrouve toutes les caractéristiques qui ont tourné la tête des labels. Cette patte distinctive qui fait qu’on reconnaît immédiatement les aspects de son univers. Bien qu’il soit assez laconique sur le sujet et qu’il évite de répondre directement dans les différents entretiens qu’il accorde à la presse numérique, on peut néanmoins avancer quelques hypothèses. D’abord une constante toute particulière : l’obsession récurrente du miroir, avec toutes les figures inversées, retournées qui démultipliées à l’infini dessinaient dans les années 60 les sinuosités délirantes de l’art psychédélique. Pas de remake lassant pourtant, non tout est revu et corrigé voire mélangé à une vision romantique des paysages et des lieux tonifiée par la modernité du traitement. Le recours non moins obsessif au collage réunissant des éléments disparates accélère l’effet tourbillon donné à l’ensemble. C’est le cas de l’album Innerspeaker du groupe Tame Impala ou les arbres et les montagnes sont avalées par le point de fuite de l’horizon tout comme les nuages du foulard Fibonacci sont aspirés par le mouvement d’une spirale sans fin. Dans le flux des images qui sans cesse nous assaillent, Leif Podhajsky recherche simplement les aspérités susceptibles d’arrêter notre regard. Un chef d’orchestre nomade en quelque sorte toujours en quête d’une nouvelle partition visuelle.
Bertrand RAISON
Palace Costes N°47 avril-mai 2013