Olivier Saillard mène avec un calme imperturbable plusieurs vies à la fois. Directeur de Galliera, le musée de la mode de la ville de Paris, il est aussi l’infatigable artisan de SOS (Saillard, Olivier Saillard), alerte acronyme désignant sa propre maison de mode spécialisée dans l’écriture du vêtement. Accompagné par Violeta Sanchez, l’actrice et mannequin icône des années 80, SOS met en scène depuis quelques années des défilés renversants à l’occasion des semaines de la haute couture de janvier et de juillet. Là devant le gratin de la profession, il organise le contre ballet de la mode, ne vend rien, économie zéro. Dans cet univers au markéting acéré, il propose avec un flegme souriant de prendre le contrepied d’une industrie soucieuse de rentabilité et de vitesse. Une de ces performances intitulée « Vêtements de rien », au théâtre de l’Odéon, montrait Violeta avec deux sacs, l’un rempli de vêtements, l’autre vide. Tranquillement, elle prenait chaque pièce, les offrait à la contemplation de l’assistance et les replaçait méticuleusement dans le sac vide. A contre courant du clinquant des podiums affamés par l’obligation de la nouveauté, les vêtements sont usés, rapiécés, troués. Ils ont vécu. Chacun de leur passage est salué comme il se doit par une courte description ironique, mélancolique lue par Olivier ou Violeta, il y a la broderie « pied de nez à M. Lesage », « le point zig-zag après pastis » ou « le bord côte qui n’est pas d’azur ». Intervention sur le fil du rasoir cependant car derrière le charme poétique, il n’échappe à personne que ce manifeste en forme de S.O.S, s’invite sans façon pour sauver le vêtement qui souvent derrière la mode s’efface. Il s’agit de lui redonner en quelque sorte le temps long de son existence, de l’arracher à la tyrannie de son éphémère présence sous les projecteurs. En effet à force de porter au pinacle les créateurs ou la personnalité des acheteurs, on en oublie le sujet même du débat. Pour contrer ce ramdam du business de la mode, il faut bien avoir plusieurs vies car le vêtement lui aussi est multiforme. La robe porte autant la marque de son concepteur que des mains qui l’ont fabriquée. Elle retient l’empreinte de sa propriétaire tout comme elle cristallise le souvenir des gestes qui en assurent la tenue. D’où cette manière neuve d’envisager un musée de la mode qui ne serait pas le simple reposoir d’objets morts mais bien davantage le rappel de l’histoire sociale et imaginaire de nos enveloppes et de nos corps.
Et comment en arrive-t-on là ? Par une conjugaison d’éléments qui peu à peu dessinent la consistance d’une passion. L’enfance à Pontarlier où, cadet d’une famille nombreuse, Olivier Saillard se réfugie au grenier, seul endroit de la maison familiale où il puisse être enfin seul parmi les restes d’habits hors d’usage, vieilles nippes importables abandonnées par sa mère et ses sœurs. Dans ce vestiaire délaissé, il feuillette la presse féminine et rêve à son propre magazine « le grand couturier ». Il rédige les textes, exécute les dessins et pour faire bonne mesure, créateurs et chroniqueurs s’appellent tous Olivier. Objecteur de conscience, il effectue son service militaire au musée de la mode. Ca se précise. Coup de chance après des études d’archéologie, d’histoire de l’art et de la mode on le nomme à 27 ans, en 1995, aux manettes du tout nouveau musée de la mode de Marseille. Il y monte des expos sur l’imprimé Mondrian, Karl Lagerfeld… Il ne va plus arrêter, écrit une « Histoire Idéale de la mode contemporaine » et un précieux « Petit Lexique des gestes Hermès » tout en enchaînant les commissariats d’exposition dont les plus récentes Cristobal Balenciaga et Rei Kawakubo aux Docks des bords de Seine. Réfléchi à la scène comme à la ville O.S affiche l’insolence d’une curiosité toujours en éveil et c’est avec cette gourmandise de l’étonnement qu’il a demandé, lors du dernier Festival d’Automne, à l’actrice Tilda Swinton de présenter quelques trésors tirés des fonds du musée Galliera. Conservation oblige, rien n’est porté, tout est apporté par Tilda en blouse blanche et gantée de blanc. Tantôt, elle presse les vêtements le long de son corps, tantôt elle les agite doucement. Ainsi tirés de leur sommeil, pincés du bout des doigts les manteaux de Madeleine Vionnet, de Bonaparte et les tailleurs Chanel retrouvent-ils pour un instant le mouvement qui les avait quittés. En ouvrier spécialisé de l’imaginaire Olivier Saillard aime les rendez-vous de l’impossible avec une garde robe qui, grâce à lui, n’a jamais dit son dernier mot.
Bertrand RAISON
PALACE COSTES N°46 FÉVRIER MARS 2013