Un des charmes de Kamel Mennour, c’est d’apparaître sans effort, comme si le succès venait en marchant. Devenue une adresse indispensable de la Capitale, sa galerie, rue St André des Arts, est désormais un lieu de rendez vous pour les collectionneurs, les conservateurs et les amateurs « d’art contemporain ». Tout semble naturel et pourtant c’est surtout l’histoire d’un entêtement, le contraire de la facilité ; une de ces variations du hasard qui oriente un parcours en l’espace de quelques instants. En 1989, ce parisien de Montreuil, a 24 ans, une maîtrise d’économie en poche et ne sait pas trop ce qu’il va faire de sa vie. Un de ces amis lui propose de vendre des lithographies, des images un peu passe partout, que l’on propose en faisant du porte-à-porte. Déclic, le courant passe, la fulgurance d’une rencontre. Coup de foudre de l’art, il n’y connaît rien, se renseigne, chine les catalogues trois francs six sous, emmagasine le savoir, déchiffre les monographies et court les galeries et les foires. Parce que c’est décidé, il sera galeriste ou rien. Il y a bien les Durand Dessert et Yvon Lambert sur le chemin qu’il espère emprunter, alors pourquoi pas lui. Fort bien, mais comment s’y prendre sans réseau, sans connaissance du métier ? Pas grave. Au moment où ses copains se font embaucher, lui monte sa boîte, toujours des lithos, mais cette fois, il vise les comités d’entreprise. Il vend de « l’art comestible » comme il dit tout en avouant une grande tendresse pour cette période. « Sûr d’espérer », il continue d’écumer les musées, se forme. Il sait ce qu’il veut mais ne sait pas comment franchir le seuil. Il aurait pu être chroniqueur des foires et des musées car il a fini par tout connaître des années 80-90 en arpentant des kilomètres d’expositions et en épluchant les index des ventes aux enchères. Il fallait que je comprenne qui était qui. J’allais à la Biennale de Venise pour comprendre. J’ai perdu du temps. Cela aurait pu mal tourner. Il patientera en effet, 10 ans, jusqu’à l’ouverture de sa première galerie rue Mazarine. On perçoit encore aujourd’hui derrière son affabilité et son élégance cette rage de devenir ce qu’il veut être. Présente sous un calme apparent, cette volonté d’ouvrir la porte se retrouve pour ainsi dire chez les artistes qu’il admire et qui, eux aussi, ne se contentent pas de voies toutes tracées. Puis miracle ou signe du destin, il trouve par l’intermédiaire d’un ami colleur d’affiches, au 60 rue Mazarine, l’endroit idéal. Un bail bon marché contre des travaux. 1999, il n’a pas de programme, pas d’artistes et le lieu a tout du mouchoir de poche. Ce sera la photographie, il démarche au culot Araki et commande, à l’arraché, un texte à Germano Celant, le pape italien de la critique. Viennent ensuite Stephen Shore, Pierre Molinier, Francesca Woodman, c’est l’emballement. Les acheteurs se précipitent et les soirs de vernissage affichent complet. Nouveau tournant, il arrête Paris Photo en plein reconnaissance, il est déjà ailleurs, l’appétit tenace. Il élargit l’éventail vers les installations, la sculpture, la peinture. La jeune génération se mélange aux artistes consacrés et selon l’ADN turbulente de la galerie : Daniel Buren et Tadashi Kawamata côtoient sans façon Zineb Sedira, Sigalit Landau, Marie Bovo, Camille Henrot ou Latifa Echakhch. Confrontation, c’est ainsi qu’il définit ses choix. Bannière sous laquelle il se range plus que jamais même si l’emménagement rue St André des Arts lui assure l’accréditation de ses pairs. Et surtout qu’on ne vienne pas lui chanter le refrain de la réussite d’un beur de Constantine car sa place il l’a forgée au même titre que ses camarades du collège de Belleville. Il aurait pu s’appeler Michel ou Philippe. Il répond d’abord de son métier et se révulse à l’idée d’être renvoyé en permanence à la ritournelle de ses origines. La rage toujours la rage.
Bertrand Raison Palace N° 45 décembre 2012 / janvier 2013