Le canadien Robert Carsen court les plateaux du monde entier de Tokyo à Shanghai en passant par Saint Petersbourg et Florence. Son agenda bousculé mêle sans façon Verdi à Mozart et Bernstein à Haëndel. Au programme des quelques mois à venir, l’Opéra de Berlin, le festival d’Aix-en-Provence et la Scala de Milan attendent ses mises en scène. Au cours de ces dernières années et rien que pour l’Opéra National de Paris, il a signé pas moins d’une dizaine de réalisations dont une lumineuse Rusalka de Dvorak. Habitant entre Londres et Paris, cet homme pressé et méticuleux ne se contente pas des scènes lyriques, il aime aussi arpenter les planches du théâtre et revendique un goût prononcé et assumé pour les comédies musicales. On lui doit le « Buffalo Bill’s Wild West Show » du Disneyland de Paris et dans un autre registre la cérémonie des 60 ans du Festival de Cannes. Né en 1954, cet éternel jeune homme, du haut de ses trente ans de métier, avoue une curiosité insatiable. Le hasard des rencontres et des circonstances venant au secours du talent, il aborde depuis peu le terrain des expositions. Après une Marie Antoinette au Grand Palais et un portrait de Charles Garnier aux Beaux Arts de Paris, il vient coup sur coup de boucler la direction artistique des deux expositions phares de l’automne parisien « L’impressionnisme et la mode » à Orsay et « Bohèmes » au Grand Palais. Coup sur coup parce que l’on se demande bien comment se débrouille ce faux calme pour reprendre quasiment en même temps les « Contes d’Hoffmann » d’Offenbach à l’Opéra Bastille et « Capriccio » de Richard Strauss au Palais Garnier. J’ai de très bons assistants dit-il d’un air modeste. Boulimie sans doute naturelle et ubiquité autorisée puisque après tout la capitale abrite ces quatre productions.
Organisé, rigoureux, Robert Carsen l’est assurément mais que l’on ne se méprenne pas, ce timide sait surprendre et ne laisse pas indifférent. La critique d’ailleurs n’a pas manqué de s’étonner face au gazon synthétique et aux chants d’oiseaux qui accompagnent la dernière salle de l’Impressionnisme et la mode. Scénographe, il ne voit que des similitudes avec la mise en scène d’opéra. Ce qui m’intéresse, c’est d’approfondir l’expérience de la visite, de composer un parcours ou l’espace architectural joue avec le décor, la couleur, la lumière, la musique, les textes et les tableaux. Bien entendu, souligne-t-il, on peut laisser les toiles dans le silence des cimaises. Mais le visiteur, à Orsay, doit non seulement avoir la possibilité de faire le lien entre la peinture et la mode mais aussi d’entrer dans un univers, de se laisser gagner par une émotion. A cet égard, Robert Carsen invente un nouveau genre : l’expo-opéra nourri par tout un ensemble qui, de la musique aux sièges des gardiens, compose une ambiance, le portrait social et sensible d’une époque. Belle idée aussi que ces toiles grands formats de Manet et de Tissot qui défilent associées à des miroirs. Oui, et n’en déplaisent à certains, l’exposition peut être conçue comme un spectacle, un itinéraire avec un début, un milieu et une fin qui vous permet de découvrir plusieurs partitions simultanément, histoire de ne jamais oublier que le mot opéra rime avec pluriel.
Bertrand RAISON
Palace N° 45 Décembre 2012/ Janvier 2013