
Tellement innombrables sont les facettes de Paul Klee que les expositions qui lui sont consacrées se succèdent sans se ressembler. Celle de l’Orangerie montrait les tableaux du peintre réunis par le goût sans faille d’ Ernest Beyeler et tout dernièrement la Cité de la Musique explorait les résonances musicales de son univers. Et si, en 2014, la Tate Modern de Londres rendait hommage à son amour de la couleur à travers une rétrospective exhaustive, le centre Pompidou a choisi de suivre à travers 250 œuvres la pratique de l’ironie de cet « autodidacte » qui, depuis ses premiers travaux jusqu’à sa mort, en 1940, n’a cessé de creuser sa singularité. Compagnon de route de l’avant-garde de son temps, il a maintenu contre vents et marées son indépendance. Et effectivement, il échappe aux étiquettes. S’il participe à l’aventure dadaïste du Café Voltaire, rejoint l’équipée du Blaue Reiter (le cavalier bleu) aux côtés de Vassily Kandinsky et enseigne au Bauhaus de Weimar, la prestigieuse école allemande d’architecture et d’arts appliqués, il se tient à part et n’arrête pas d’expérimenter, de produire, bref de se risquer sans concessions sur le chemin de ses convictions. Et l’ironie à quoi correspond-elle ? Dans le cas de Paul Klee elle ne relève pas de la raillerie mais d’un détachement plutôt d’une interrogation en accord avec l’étymologie même du mot. Le peintre interrogeant sa pratique interroge du même coup le regardeur. Et voilà la magie de la démarche, il suffit de quelques lignes, d’un entrecroisement des surfaces colorées pour que nous soyons emportés par l’énigme qu’elles composent et non par les catégories auxquelles elles sont supposées renvoyer. Prenons Insula Dulcamara, (Ile douce-amère) une huile sur toile de 1938. Le titre rappelle le voyageur fondateur qu’il fit en Tunisie à l’aube de la première guerre mondiale et qui détermina son entrée en peinture. Sur la droite, l’arabesque d’une calligraphie arabe se détache sur un fond coloré. Ces « friandises chromatiques » comme les appelait Klee entrent en vibration avec les traits noirs qui dessinent tantôt la forme d’un serpent sur la partie supérieure ou un visage figuré au centre du tableau. Il y a là en suspension la réalité esquissée d’un souvenir éclatant et le rappel amer de son exil en Suisse où, chassé par les nazis, il trouva refuge.
Bertrand RAISON
Paul Klee. L’ironie à l’œuvre. Centre Georges Pompidou jusqu’au 1er août 2016.
PalaceCostes N°62 avril-mai 2016