
A plus de 90 ans, Louis Stettner continue imperturbablement de photographier le monde. Né dans une famille juive de Brooklyn, il s’initie très tôt à la photographie grâce au Brownie-Kodak avec lequel des générations entières des deux côtés de l’Océan se sont formées aux charmes de l’image fixe. Emporté par sa passion, l’adolescent fréquente le Metropolitan Museum de New York découvre les clichés de l’immense Alfred Stieglitz, qui donna ses lettres de noblesse à l’art photographique ; finira même par le rencontrer et sera dûment incité à persévérer dans cette voie. Formé par l’armée dès 1941, il participe comme photographe de guerre aux opérations de la marine américaine dans le Pacifique puis à la fin hostilités décide de se rendre à Paris pour quelques semaines. Le séjour durera plusieurs années et fut le point de départ d’une aventure qui, à ce jour, se poursuit. Louis Stettner rencontre les principaux représentants de ce que l’on appelle la photographie humaniste : Doisneau, Izis, Boubat, Ronis tant et si bien qu’il organisera la première exposition de la photographie française à New York, en 1947.

Partageant son temps entre les Etats-Unis et la France pour se fixer finalement à St Ouen, à partir de 1990, ce français d’adoption cultive une modestie du regard apprise au cours de ses innombrables périples urbains. Pour lui, il n’y a pas d’image sans réalisme. Encore faut-il préciser le propos car l’œil Stettner, bien sûr, ne se contente pas d’être au bon endroit au bon moment. La série Penn Station, consacré à une des gares de New-York depuis démolie, montre non seulement l’intérêt qu’il éprouve pour les lieux publics mais surtout l’attention absolue qu’il accorde à l’intimité des personnes qui se retrouvent face à son objectif. Prenez cette Femme au gant blanc (1958), ignorant l’univers qui l’entoure, endormie, perdue dans ses rêves, elle s’abîme dans la solitude au milieu du brouhaha. Ici, on ne force rien, le photographe ne tente aucune démonstration de virtuosité technique, et ne suggérant aucune familiarité, il respecte tout au contraire ce qu’il expose sans le dévoiler. S’il y a une manière Stettner, elle consiste très certainement à préserver une certaine distance, à garder à tout prix ce réalisme de l’élégance qui caractérise son style.
Bertrand RAISON
Louis Stettner. Ici ailleurs. Centre Pompidou. Jusqu’au 12 septembre 2016
Palace/Costes N°63 avril-mai 1976