ERWIN OLAF : LA MISE AU SECRET

A l’affiche ce mois-ci à la galerie PalaceCostes, le photographe hollandais Erwin Olaf, mais ne devrait-on pas dire metteur en scène, scénographe. Car depuis les années 80, il a beaucoup œuvré pour la publicité de Diesel Jeans à Bottega Veneta ce qui lui a permis de développer une approche très personnelle de son travail en studio, associée à un goût maniaque du détail. Cette volonté de recomposer la réalité, de ne jamais la traduire telle quelle, il la doit en partie, confesse-t-il, au peintre et dessinateur Norman Rockwell (1894-1978) qui proposa une vision idéalisée et recomposée de la société américaine. Ses illustrations notamment ont été avidement regardées par le jeune Erwin. Cela dit, toute reconnaissance de dettes ayant ses limites, il faut enlever l’idéal et souligner qu’en trente ans de carrière le photographe préfère la ligne noire à la ligne trop claire de l’idylle. Au gré de ses séries, on croise des clowns sulfureux, des femmes oiseaux, des grooms exhibitionnistes mélangeant sans pudeur les critères du beau et du laid. Une petite musique obsédante cependant le suit depuis ses débuts, et se renforce autour des années 2000. Elle contamine toute l’atmosphère des images et surtout celle de « Keyhole »( trou de la serrure, 2011), une des toutes dernières installations qui expose dix portraits vus de dos. Ces figures enfermées dans leur solitude, le visage tourné vers le mur se débattent avec leur peur. Le piège visuel est si bien construit que le spectateur obligé de rentrer dans la danse cherche à déchiffrer le mystère de ces silhouettes mises au secret. Rencontre.

Vous avez suivi une formation de journaliste en Hollande mais vous êtes passé du côté de la photographie…

 J’aime écrire, mais c’est une discipline très difficile. Juger de l’écriture, c’est plus diffus, j’en suis beaucoup moins sûr. Prenez la photographie de cette petite fille brûlée au napalm pendant la guerre du Vietnam qui est devenue une icône du photojournalisme. Tout le monde s’en souvient et adolescent à l’époque de sa publication je m’en souviens aussi. Cela saute aux yeux. En fait la photographie correspond à ma personnalité, c’est plus rapide, je vois tout de suite le résultat de ce que je prends. J’aime beaucoup les photographes qui sont précis et qui travaillent sur l’impact comme Robert Mapplethorpe, Joel-Peter Witkin, Pierre et Gilles.

Tout au long de votre carrière vous n’avez cessé de réaliser des campagnes publicitaires tout en développant votre propre travail photographique. Ces deux activités sont-elles complémentaires ?

Au début, cet aspect commercial représentait la majeure partie de mon temps mais maintenant c’est le contraire, je me consacre presque entièrement à mon propre travail photographique. Pour Nokia ou Microsoft j’ai réalisé des panneaux publicitaires, ce qui franchement n’a rien à voir avec des pages de magazine, j’ai du apprendre à composer des grands formats et cela m’a particulièrement aidé pour produire mes vidéos. Techniquement, j’ai beaucoup appris. Je pense que ces deux mondes s’influencent mutuellement.

Dans l’un de vos entretiens vous affirmez que vous ne croyez pas à la reproduction de la réalité et que vous préférez exposer votre propre fantaisie. Vous rediriez la même chose ?

 Oui exactement. Enfant je rêvais beaucoup. Ma mère m’a raconté qu’une fois en voyant entrer mon père dans ma chambre, je lui aurais dit « mais fais attention, tu marches sur mon chien », nous n’avions pas d’animaux à la maison, sauf bien sûr ceux qui habitaient mon imagination. Je me sens toujours très proche de cette fantaisie. C’est pourquoi, je me suis éloigné du photojournalisme. Depuis 1983, le travail en studio a remplacé la reproduction de la réalité.

Mais plus que la fantaisie, n’est ce pas plutôt les émotions que vous mettez en scène ?

 Oui, mais je voulais d’abord m’affirmer comme un bon professionnel. Et une fois que l’on a compris que l’on pouvait compter sur moi ; disons à partir des années 2000, cette approche ne me convenait plus. J’ai mûri en quelque sorte. Conquérir le monde ne m’intéresse plus. Mon cheminement est devenu plus intérieur. J’essaie de comprendre la chorégraphie des émotions. Quand quelqu’un penche la tête d’un côté ou de l’autre, qu’est ce que cela provoque chez le spectateur. La position des mains, le moindre geste finalement change complètement notre perception de l’image. J’ai découvert que la peinture a eu beaucoup plus d’influence sur moi que je ne l’avais réalisé. Le travail de l’ombre et de la lumière, l’architecture des corps m’intéresse de plus en plus ces dernières années.

 La série Keyhole (2011, trou de la serrure) dont deux images sont exposées à la galerie PalaceCostes, montre des portraits vus de dos…

Tourner le dos face à l’objectif suscite une atmosphère émotionnelle très forte et génère de multiples interprétations. Se sent-on honteux, coupable, victime ? Pense t-on à une punition à un viol. J’ai donc rassemblé dix photographies constituant une famille dans laquelle il y aurait un secret. Ces photos se répartissent à égalité sur la façade avant et arrière d’une installation circulaire fermée par deux portes et dont on peut faire le tour. Pour éviter que les visiteurs soient mis à distance par le dispositif, ils ont la possibilité de regarder par le trou de la serrure deux vidéos de 2’ reprenant exactement la même situation. Dans le premier, c’est un homme qui s’occupe d’un petit garçon, dans le second c’est une femme. Aussitôt qu’ils visionnent les films les spectateurs font partie, qu’ils le veuillent ou non, de l’installation. Chaque modèle qui me tourne le dos le fait d’une manière particulière exprimant des émotions différentes ce qui me permet de mettre en scène des récits différents. C’est ce que j’aimerais faire dans le futur en associant la vidéo, la photographie, le son et la lumière.

 Propos recueillis par Bertrand RAISON. Palace Coste N°55, nov-déc 2014

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