Quand on pense à Edvard Munch (1860-1944), on l’assimile trop souvent et uniquement au peintre du Cri. Ce tableau a fait le tour du monde. Fasciné par ce modèle, Andy Warhol, l’a fait figurer en bonne place à la suite des multiplications pop de ses soupes Campbell.
Cet homme horrifié, la tête entre les mains et la bouche grande ouverte, fuyant on ne sait quelle peur, représente désormais le cliché planétaire de l’angoisse intérieure. La médaille de la célébrité ayant son revers, il est dommage que l’œuvre du peintre norvégien soit réduit à cette toile, de 1893, puisqu’à l’époque, l’artiste scandinave avait encore cinquante ans à vivre. De plus, la majeure partie de sa production s’effectuera, après 1900, sur des bases sensiblement différentes. Victime du cri, Munch sera pour longtemps le représentant du symbolisme et de l’expressionnisme. Forts de ce constat, les commissaires de l’exposition de Beaubourg souhaitent admettre Munch à la table de l’avant-garde du XXème siècle plutôt que de le laisser mariner dans les méandres du lieu commun psychologique du siècle précédent. Ils justifient cette réévaluation salutaire, précisant au passage, que Munch, sans avoir à en rougir, est le strict contemporain de Vassily Kandinsky et de Piet Mondrian, gages de modernité, s’il en est. Dont acte, il ne s’agit pas d’une rétrospective mais d’une proposition affichant à la une, un Munch moins connu. Pour preuve, un parcours d’exposition qui, sans Le Cri, commence, à partir de 1900 tout en s’écartant délibérément de la mythologie de la dépression. Découverte donc qui est aussi un hommage, en plusieurs séquences, au regard du peintre scandinave qui affirmait : Je ne peins pas ce que je vois mais ce que j’ai vu. Ce rappel au souvenir dans l’acte de peindre explique partiellement les nombreuses reprises à des années de distance des mêmes motifs. Chaque nouvelle version de l’Enfant Malade ou de La Puberté tourne autour des impressions ressenties, s’acharne à reconstruire le passé au présent. Insistance que l’on retrouve dans son usage de la photographie. Les autoportraits photographiques et les nombreuses variantes peintes témoignent de l’intensité d’une recherche où la reproduction de la réalité compte tout autant que la construction patiente de ce qui est personnellement perçu. Une des dernières huiles*, de 1940, montre le peintre littéralement repoussé contre un mur de tableaux, coincé entre la masse verticale d’une horloge et celle horizontale d’un lit, pressé pour ainsi dire dans les plis du temps. Le résultat, ici, s’apparente à une fouille méthodique où l’œil envisage tous les cadrages passant au tamis dans un même emportement le fond et la forme. Effectivement, ce n’est plus l’homme qui crie, c’est la représentation elle-même qui subit le bouleversement du regard, à l’image de ce Cheval au Galop dévalant la rue d’un village aux perspectives brisées.
Bertrand RAISON Palace N° 37 septembre- octobre 2011