L’art contemporain apprécie les duettistes de Gilbert & Georges à Pierre & Gilles en passant par les russes Komar & Melamid. McDermott et McGough, eux, sont américains et produisent depuis une trentaine d’années un ensemble de photographies, de peintures, de sculptures et de films mettant en scène des situations ou des techniques datant de la fin du XIXè siècle et se prolongeant au XXème du côté de l’âge d’or d’Hollywood et de la bande dessinée aux franges du Pop Art. Photographes, ils aiment les appareils à chambre et les tirages à la gomme bichromatée, peintres, ils travaillent sur des toiles de lin.
Théoricien du duo, David McDermot fixe le cap de cette échappée vers le passé tandis que Peter McGough veille à la mise en forme de ce refus du futur. Tandem vital car, David, dans une interview, avoue que sans Peter, il serait devenu fou et que ce dernier sans lui se serait ennuyé à mourir. Au début des années 80, on les voyait, à New-York, aux côtés de Schnabel, Warhol et Basquiat ; déambuler en costume victorien et s’éclairer à la bougie dans un immeuble du même tonneau. On a pu les croire amateurs de vieilleries, couple kitsch un brin nostalgique. Pas du tout, ils recréent leur propre passé, et règlent surtout le compte de ce petit monde de l’art qui, il y a trente ans encore, était dominé par des occidentaux blancs, sûrs de leur suprématie. Au moment où le progrès a du plomb dans l’aile, les deux complices font figure de modernistes. Ils le savent et savourent à l’avance la déconfiture de leurs contemporains. D’ailleurs et afin de mettre les choses au clair, Peter McGough indique que c’est la condition humaine qui nous fascine, pas les vieux films ou les bandes dessinées. D’où leur volonté affichée de ne pas jouer seulement dans la cour du rétro bon teint mais plutôt de s’intéresser aux excès de l’émotion parfaitement orchestrés par les grands mélodrames du cinéma américain des années 60. Rassemblées autour de la chanson titre « In dreams you’re mine » (dans mes rêves tu es à moi) les douze nouvelles peintures du duo dessinent le portrait d’une femme en crise, solitaire, perdue, condamnée aux canons de la beauté, bref, subissant tous les clichés de la condition féminine de l’époque. Chaque tableau par grands aplats de couleur revient sur l’instant décisif, ce moment clé qui sépare la joie du malheur. Ce simple appel téléphonique qui déclenche tout et dont nous repérons les effets sur la toile « Among some talk of you and me » nous est livré comme une intrigue à lire et à déchiffrer. Nous disposons de quelques indices, un visage dévasté, la main agrippée sur le combiné du téléphone, et la vignette B.D d’une héroïne, de dos, effondrée sur un sofa. Enfin deux dates encore, celle de la scène d’origine 1965 et celle d’aujourd’hui 2012, il nous reste alors à recomposer l’histoire et à suivre le fil de ce théâtre pictural oscillant entre le tourment et le plaisir.
Bertrand Raison
Palace Costes N°44 novembre 2012
Mc Dermott & McGough « In dreams you’re mine » 23 novembre- 23 janvier 2013