LIU BOLIN, L’ART DU CAMOUFLAGE

La liberté guidant le peuple (d'après E. Delacroix) 2013
La liberté guidant le peuple (d’après E. Delacroix) 2013

Love, 2015
Love, 2015

L’invité de la Galerie Palace Costes, le chinois Liu Bolin pratique l’art de la discrétion. Ici pas d’ego surdimensionné puisque l’artiste s’entête depuis près de dix ans à mettre en scène sa propre disparition. Le plus souvent, il se place devant un décor urbain et demande à ses assistants de reproduire minutieusement à la peinture sur ses vêtements les détails de l’arrière plan. Résultat : l’illusion réussie d’un camouflage parfait, l’artiste, tel un caméléon, se fond dans le paysage. La photographie de chacune de ses interventions témoigne de cette volonté aigue de transformation tout en révélant le savoir faire du prestidigitateur. A Paris, on peut aussi le voir chez Guerlain, et à la galerie Paris Beijing. Revue de détails avec un magicien performer.

On vous connaît surtout pour la série « Hiding in the city » initiée depuis plusieurs années maintenant dans laquelle vous vous fondez dans un décor toujours choisi avec soin. Quel a été le point de départ de cette série ?

Jusqu’en 2005, je me suis surtout exprimé par la sculpture. C’est ma formation d’ailleurs. C’est à partir de la destruction de mon atelier, le 16 novembre 2005, que j’ai compris que la sculpture n’était pas le médium approprié pour traduire la révolte qui m’habitait. Je me suis tourné du côté de la performance en prenant mon corps comme objet d’expression. J’ai choisi de photographier et de mettre en scène ma propre disparition en choisissant très précisément le cadre de mon retrait.

Curieusement toutes les photos de cette série sont prises de face. Considérez-vous que ce soit à la fois un autoportrait et sa négation puisqu’il s’efface ?

Au début, j’avais plutôt envisagé la vidéo pour enregistrer progressivement le processus de disparition. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas si simple et surtout que c’était trop long. De plus, je risquais aussi de bouger avec un résultat pas très satisfaisant. La photo me paraissait beaucoup plus efficace et j’étais sûr de ne pas avoir de mouvement parasite. L’autoportrait photographié c’était plutôt un deuxième choix mais la meilleure solution pour montrer l’effacement.

Dans cet évanouissement programmé souhaitez-vous mettre entre parenthèses l’individu ?

Cela fait dix ans que je travaille sur la disparition. Et depuis 10 ans, je me demande pourquoi je suis toujours aussi fasciné. Mes premières séries étaient plutôt protestataires, de l’expulsion de mon atelier aux différents problèmes sociaux directement reliés à la Chine comme la question de l’alimentation ou de la pollution. Et au fur et à mesure je me suis aperçu que tous les pays étaient en proie à leurs propres contradictions. Je crois que les thèmes que j’aborde ne concernent pas seulement les chinois mais chacun d’entre nous.

N’y a t-il pas un aspect théâtral de votre travail avec ses constants changements de décors et de costumes.

Les tenues de camouflage m’ont beaucoup influencé. C’est une technique qui permet de survivre tout en restant invisible. Et puis, je ne suis pas le seul à vouloir disparaître, les gens veulent aussi se sentir protégés. Chacun finalement reconnaît son propre désir de disparition en regardant mes photographies. Cela va bien au-delà de mon propre effacement.

Pourquoi avez vous particulièrement choisi de montrer la reproduction de la « Liberté guidant le peuple » d’Eugène Delacroix 1830 et celle d’un kiosque à journaux.

C’est un hommage aux événements du mois de janvier à Paris tout en soulignant l’importance que j’attache à la liberté d’expression.

Palace Costes N°56 février-mars 2015

Propos recueillis par Bertrand RAISON

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